Dansi et le fils de sa rivale, Kouassi Claude OBOE

Mon conte roule, roule et atterrit au village de Tagbasoukpo. La sagesse ici stipule ceci : « Quand on veut quelque chose, il faut donner et se donner les moyens. » Mais attention…

A Tagbasoukpo, vivait Yokounmi, un septuagénaire respecté de tous. Il avait deux femmes qui lui rendaient la vie très dure et impossible à cause de leurs palabres. Koumbi et Dansi ne s’entendaient guère. La première femme, Koumbi, avait réussi à faire sortir de ses entrailles pour Yokounmi cinq enfants, contrairement à Dansi qui n’a réussi l’exploit que d’un seul. La rivalité des mères a fait que les enfants entre eux ne s’aimaient pas du tout. D’ailleurs, Koumbi avaient interdit à ses enfants de jouer avec leur demi-frère, Omassékpo.

 

 

Celui qui était préposé à prendre la succession de leur père et à gérer sa fortune, c’était Djignan, le fils cadet de Koumbi, l’ainée étant une fille. Mais ce fils cadet traînait une malformation qui ne lui permettait pas de se souvenir et de maintenir sa mémoire active. Dans ce cas, celui qui avait la lourde charge était Omassékpo, le seul fils de Dansi. Les anciens de la famille commencèrent à préparer petitement ce jeune enfant dont personne ne douta des qualités et compétences. Oui, Omassékpo, âgé seulement de seize ans, était doté d’une intelligence hors normes. Sa capacité de raisonnement dépassait son âge. Toujours souriant et agissant avec sang froid, tout le monde voyait en lui un grand chef. Son allure prédisait qu’il serait un bon chef, un bon meneur d’hommes. Cette situation n’enchantait guère Koumbi. Plusieurs fois, Dansi était allée narguer sa coépouse des prouesses de son enfant et mettre à nu l’incapacité de Djignan. Plusieurs fois aussi, Koumbi avait voulu tuer le fils de Dansi, mais n’y réussit jamais.

 

 

– Si mon fils ne peut être successeur de son père, dans ce cas, personne ne le sera, pas même le tien, ne cessait de répéter Koumbi à Dansi.

Pour cette raison, elle battait très bien Omassékpo quand elle trouvait l’occasion. Yokounmi savait que ses deux femmes ne s’aimaient guère, ainsi que les enfants entre eux. Cette situation était aussi un poids supplémentaire sur sa conscience. Ils en étaient tous là quand quatre ans plus tard, Koumbi mourut, abandonnant ses cinq enfants. Pour beaucoup de personnes, les enfants de la défunte n’auront pas de chance, car c’était l’occasion pour Dansi de se venger sur les enfants de sa coépouse. Yokounmi perdant de plus en plus la vue, le temps était venu de faire de Omassékpo le digne successeur de son père. Mais contre toute attente, Dansi demanda qu’on retardât la cérémonie et qu’on lui accordât trois mois. Après la réunion, elle eut gain de cause. Elle partit du village vers une destination inconnue, et ne revenant que trois semaines plus tard. Elle y vint avec des décoctions de plantes, des racines, des feuilles, etc. Elle se lança dans une course folle contre le temps afin de traiter le fils de sa rivale.

 

Il appela son enfant Omassékpo et lui parla :

– Mon fils, écoute moi très bien. La nature a établi certaines règles auxquelles on ne doit se dérober. Normalement, celui qui devrait prendre la succession de votre père, c’est ton frère. Voilà qu’il est malade. Tu sais que je ne l’aime pas trop à cause de sa mère. Je ne l’aime pas, en outre, à cause de tout ce qu’elle t’a fait subir. Les anciens ont voulu que tu sois le guide de la famille. J’en suis vraiment heureuse et honorée. Tu es et seras un bon guide. Personne n’en doute. Mais vois-tu ? Dans la vie, il y a des choses plus importantes que la richesse et les honneurs. Tu es jeune. Mais ne joue pas au jeu des autres. Laisse ton frère prendre la place de votre père.

– Mais Mâ, il est malade et il ne peut rien faire.

– Je sais. C’est pour cette raison que je suis sortie du village pour revenir maintenant. Je vais essayer de le soigner. Es-tu d’accord avec moi que, si j’arrivais à le soigner, tu lui laisses sa place ?

– Oui, même si je ne l’aime pas bien et qu’on on ne s’entend pas bien non plus, il est mon grand frère. Je l’aiderai même dans sa tâche s’il veut de moi.

– Que Dieu te bénisse, mon fils. Cela prouve encore la grandeur de ton cœur.

 

 

Après discussion, elle alla voir dans la chambre le fils cadet de Koumbi et le pria de suivre le traitement. Mais ce dernier refusa, n’ayant pas confiance en elle. Il se souvint de toutes les horreurs subies quand sa défunte mère était encore vivante. Ses sœurs le dissuadèrent d’obtempérer, de peur de subir sur son corps des cicatrisations et de prendre des produits préparés par la rivale de leur mère. Mais elle insista tellement que Djignan accepta. Pendant dix-sept jours, les deux vécurent hors du village pour le traitement. Personne ne sut où ils étaient partis. Pour les sœurs de Djignan, leur frère se fera tuer et ne reviendra plus. Mais grande fut leur surprise quand elles le virent revenir en pleine forme avec Dansi. Tagbasoukpo n’en croyait pas ses yeux.

 

Les anciens se réunirent et firent des tests. Les dieux donnèrent carte blanche à Djignan, et attestèrent qu’il avait désormais les capacités et aptitudes requises pour prendre la succession de leur père. Il fut intronisé et on lui confia la destinée de la famille. Il prit comme son conseiller spécial, son demi-frère Omassékpo, pour l’aider dans la gestion des affaires de la famille. Tous les enfants se réconcilièrent et Dansi aux yeux de la population et de son mari, gagna en estime. Tout Tagbasoukpo fit d’elle une femme digne de confiance.

 

Moralité : Les apparences sont parfois trompeuses et l’Homme devient ce qu’il est en fonction de qu’on lui fait.

 

 

Kouassi Claude OBOE