« L’Afrique, notre avenir » !
De proclamations en projections, de déclarations d’intentions en changements apparents d’orientations politiques ou stratégiques, l’on n’en finit plus. Au reste, en finira-t-on jamais ? Toujours et toujours, l’Afrique est déclarée « notre avenir ». Et aujourd’hui plus que jamais. Et demain encore, sûrement… « l’Afrique notre avenir ».
La grande curiosité dans cette affaire réside dans le fait que ce ne sont pas les filles et les fils du continent qui sont à la manœuvre ! Non, les Africains ne sont point ceux qui proclament que l’Afrique est leur avenir. En ont-ils d’ailleurs besoin ? Car quel autre avenir pourraient-ils avoir ? Tout au plus ont-ils, récemment, envisagé comme perspective l’avènement de ce qu’ils ont appelé « l’Afrique que nous voulons ». En réalité, pour les Africains, le mot d’ordre devrait être : « L’Afrique notre quotidien » ou encore « l’Afrique c’est maintenant. » D’où l’urgence de s’interroger sur le rapport de l’Afrique et des Africains à cette fameuse et désormais agaçante antienne « l’Afrique notre avenir ».
L’expression est en effet cryptique, autant que sa temporalité – tout à la fois, faussement et résolument prospective, dont le surgissement apparaît comme totalement rétrograde. La vraie question est celle-ci : de qui l’Afrique est-elle ainsi, et aussi itérativement, l’avenir ? Et pourquoi ? Et comment est-elle cet avenir ? Et depuis quand ? Tout commence peut-être à s’éclairer dès lors qu’on bute sur cet incontournable impératif généalogique.
Car, « l’Afrique notre avenir », c’était toujours déjà le cas, et le nouveau, si nouveau il y a, pourrait bien n’être que le recyclage de l’ancien, voire du permanent, en tout cas une reproduction du structurel dont les invariants sont programmés de longue date : l’Afrique notre avenir, c’est l’Afrique confisquée. L’Afrique des cultures déclassées, des patrimoines fracassés, des communautés dispersées, des dignités avilies, des rêves avachis !
Et comme par coïncidence, aujourd’hui encore, pour « l’Afrique notre avenir », les auteurs de l’antienne se lancent dans la recherche de nouveaux interlocuteurs : il leur faut trouver « des interlocuteurs valables » ! C’est précisément ce que l’on disait, hier, pour écarter et massacrer – horresco referens – les vrais porte-paroles des peuples, ces « mauvais nègres » qui revendiquaient l’indépendance effective des territoires « conquis » et mis en partage entre 1884 et 1885 lors de la Conférence de Berlin.
Trouver « des interlocuteurs valables » … C’est ce que l’on disait déjà lorsqu’on voulait confier la gestion d’une fausse indépendance à ces faux contremaîtres, garde-chiourmes de l’ordre colonial, dont la présence à la tête des jeunes Etats fit des premières décennies des indépendances africaines des périodes si chaotiques que Chinua Achebe les a appelées sans hésiter « l’époque des rois fous ». Veut-on tempérer la folie de ceux qu’on nomme dédaigneusement des « satrapes » ou prendre vis-à-vis de ceux en poste des distances pour les besoins de sa cause, l’on fait diligence pour s’offrir un autre type de nouveaux nègres chargés de « conseiller » leurs employeurs sur les contours à donner à « l’Afrique notre avenir ». Le Savant nègre d’aujourd’hui…, le Politique nègre de naguère… tout comme l’Administré nègre de jadis…, tous des nègres au service de l’avenir du Maître.
Mais peut-être y a-t-il quelque chose de nouveau dans la situation actuelle ? Et que peut-il donc y avoir de nouveau avec les nouveaux nègres de service ?
Ils ont eu tort, nous le savons maintenant, tous ceux qui ont eu la faiblesse de croire que le Maître d’hier avait accepté que les temps ont changé. Le Maître d’hier ne cherche pas simplement, maladroitement, à rester le Maître demain. Il se veut le Maître de l’Avenir, de tous les avenirs possibles. C’est à partir de là que se pose le problème, qui reste dès lors tout entier : « l’Afrique, notre avenir », telle et tel que vus par les Autres. Ne serait-on pas aux portes d’un remake … ? En quoi ce qui se dessine en 2021 sous nos yeux est-il différent de ce qui fut décidé voici déjà quelque 140 ans au Congrès de Berlin de novembre 1884 à février 1885 ?
Sauf qu’il y a pire aujourd’hui. Certes, c’est toujours l’Afrique de l’Homme noir… bonifiée de ces terres rares qu’on ne visait pas encore à l’époque de Berlin. Oui, c’est l’Afrique des matières premières. Et parmi les matières premières convoquées et ciblées pour la montée en puissance des Autres il ne faut jamais oublier la part faite à l’humanité africaine comme matière première. L’Homme africain constitue en effet la première matière première, la matière première vectorielle, qui porte vers toutes les autres et les apporte. Dès lors, quiconque s’en est saisi est en mesure d’exercer son contrôle sur tout. Il met sous contrôle toutes les possibilités et virtualités. Il contrôle l’avenir et se fait, avec l’aide de son captif consentant, maître des avenirs d’Afrique, par-delà les générations.
Voilà donc la clé de tout le mal, de tous les maux de l’Afrique. Sans abus d’analyse, c’est tout le sens des nombreuses guerres qui prolifèrent et prospèrent à travers le Continent. Toujours sorties de causes inattendues, ces guerres sont souvent portées par des groupuscules eux-mêmes surgis de nulle part. Rebelles et rébellions, sécessionnistes et sécessions, djihadistes et djihads, chacun y va de son nom de baptême et de sa « cause » … Et bizarrement ces situations, alors qu’elles mettent en difficulté l’Etat dans ses formes selon Berlin 1884, les descendants des acteurs de Berlin, érigés en « Communauté » dite internationale, ne sont jamais loin pour leur offrir reconnaissance et appuis… De quoi s’interroger sur la nature profonde des conflits et de leurs commanditaires. Ne sont-ils pas, dans la réalité, organisés, formatés, armés, financés pour faire tomber tous ces chefs d’Etat et toutes ces illustres personnalités africaines qui manifestent la moindre velléité de sortir du pacte de la Confiscation de Berlin ?
La liste de telles occurrences est évidemment très longue, mais à titre d’illustration peut-être convient-il de rappeler dans ces lignes quelques cas parmi les plus flagrants, les plus significatifs aussi en termes d’ondes de choc, qui ont défrayé la chronique au cours de ces dix dernières années.
Le cas de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire est emblématique de ces rébellions assistées et légalisées par les Nations Unies mêmes, dont la Chambre de la Puissance détentrice du jus ad bellum mondial est contrôlée aux trois cinquièmes par les Acteurs centraux du Pacte de Berlin.
Gbagbo a passé dix années de détention préventive dans les geôles de la Cour Pénale Internationale à Scheveningen. Une détention finalement sanctionnée par un verdict d’acquittement sur un dossier d’accusation dont les Africains les plus lucides ont toujours su qu’il était vide. Son retour dans son pays peut être considéré comme une victoire à la Pyrrhus, mais aussi comme une revanche de la vérité et du droit. Malheureusement ce dispositif ne rend pas justice aux milliers de morts et de victimes de la crise post-électorale de 2011, suprême aboutissement d’un conflit armé déclenché contre le président de la Côte d’Ivoire en 2002. Reste la problématique de la réconciliation qui pend comme une épée de Damoclès au-dessus de chacun des deux camps et du pays tout entier, charriant des ingrédients aussi inflammables que l’amadou, qu’une manipulation intelligente peut encore amener à leur explosion, entraînant la perpétuation de la précarité du dispositif social plus que fragilisé.
Le cas de Mouammar Kadhafi en Libye, victime lui aussi et avec un extrême préjudice, de ces insurrections assistées par l’Ordre de Berlin, a d’abord été un avertissement pour l’Afrique, avant de fonctionner comme un dispositif d’avertissement et de frappe permanente dans tous l’espace sahélo-saharien. La dissémination des armes suite à l’ouverture des vannes autant que des frontières de la Jamahiriya a scellé la liberté de mouvement des djihadistes et des terroristes de tout acabit ainsi que leur multiplication dans la sphère soudano-sahélienne, leur permettant désormais de dicter leur conduite ou de déstabiliser n’importe quel pays de la région. Depuis lors, le monde assiste, impuissant, à la descente aux enfers de nombreux pays, qui se solde, en Afrique de l’Ouest, par le chaos au Mali, les incertitudes à la tête de l’Etat au Niger et les bains de sang au Burkina Faso. En Afrique centrale, le Président Faustin Archange Touadera, devenu par la force des choses un résistant à la tête de son pays la République Centrafricaine, ne doit son salut qu’aux nouvelles pistes de coopération qu’il a eu la clairvoyance d’ouvrir pour se dégager de l’étau des héritiers du Pacte de Berlin. L’histoire dira en quoi ses choix auront été opportuns ou exemplaires.
Le cas du Sahel en général et du Mali en particulier, de brûlante actualité, revêt un grand intérêt immédiat et prospectif. N’y a-t-on pas vu la « Françafrique », acculée, avoir recours à ce que ses fondateurs ont toujours su faire de mieux lorsqu’elle se retrouve en position difficile en Afrique : lancer un appel aux alliés et recourir aux alliances. L’opération dite « Barkhane » va-t-elle se retirer qu’une cohorte d’alliés est mise en place, sans consultation avec les autorités du pays et au mépris de la volonté des peuples qui réclamaient une option différente. Exactement comme au moment de la Conférence du partage de l’Afrique à Berlin. Pourquoi consulter des hommes-matières-premières… ?
Plus loin du Sahel, le cas de la République Démocratique du Congo. Dans ce pays, les opérations de maintien de la Paix sont présentes sans interruption depuis l’indépendance et la guerre de sécession fomentée contre le Gouvernement de Patrice Lumumba qui eut l’outrecuidance de revendiquer et défendre « l’indépendance de l’Unité africaine » contre la pseudo-indépendance du Pacte de Berlin. La République Démocratique du Congo reste à tous égards un cas d’école. Ce pays, même quand on le contrôle, l’on ne peut être assuré de le maîtriser.
Voilà un pays, le plus peuplé du monde francophone, le plus riche aussi de ses ressources naturelles et minérales ! Dans ce pays, véritable scandale géologique et réservoir de matières premières, où il y a toujours une richesse de plus à découvrir, il y a toujours, aussi, un épisode nouveau de ruée des acteurs de Berlin, de leurs relais ou de leurs succédanés. Mais encore une fois le dispositif de la matière première matricielle et vectorielle est activé de telle sorte que l’Homme congolais reste arc-bouté sur la satisfaction des besoins élémentaires de subsistance ou de survie, loin de développer une vision de longue portée sur les enjeux et les grandes questions qui interpellent le pays. Comment ne pas évoquer cette situation ubuesque de son retour récent vers les guichets internationaux qui « financent le développement » ? Au prix de « conditionnalités » plus humiliantes les unes que les autres, le Chef de l’Etat a réussi à arracher un plan d’ajustement qui autorise de garnir la sébile gouvernementale d’un prêt…, oui, d’un prêt international d’un milliard et demi de dollars des Etats-Unis déblocable sur trois ans… Un geste de charité, sans doute face aux urgences… mais surtout, à nos yeux, un piège de plus pour enfermer le pays dans les structures de la concaténation, de la manipulation, du silence et de la compromission. (Des chaînes… chaque fois que nous sollicitons des liens…)
A côté et en renfort de ces cas interminables sur le plan strictement matériel et des stratégies polémologiques, il y a, flagrant, le problème des bases militaires. Le continent africain n’en a jamais abrité autant que depuis la seconde décennie du 21ème siècle. D’ailleurs, il n’y avait aucune base militaire étrangère en Afrique à l’époque de la conférence de Berlin. Mais la colonie et la logique toujours persistante et rémanente des colonies ont généré une situation où l’implantation militaire étrangère paraît aujourd’hui normale et tend à se faire ubiquiste.
Il est certes vrai que l’empreinte lourde d’une base de l’US AFRICOM sur le continent n’a trouvé ni terrain d’accueil ni preneur, mais le dispositif de la light footprint (empreinte légère) par laquelle le haut commandement américain a décidé de la remplacer est encore pire. D’après certains observateurs pointus, les Etats-Unis, en suivant leur stratégie de projection des Forces réadaptée aux Operations Other Than War avec des moyens rapidement mobilisables, ont opté, en plus de leur Base permanente du Camp Lemonier à Djibouti, d’opérer à partir de dizaines de bases militaires plus ou moins modulables et à durée variable.
En tout état de cause, il n’y a jamais eu autant de bases militaires étrangères en Afrique que ces vingt dernières années. Elles se multiplient, et les puissances qui projettent ainsi leur force sur le continent africain le font dans la perspective de la guerre pour le contrôle de l’Afrique, sans les Africains eux-mêmes. Ainsi s’organisent et se préparent aujourd’hui, sur le territoire africain, les guerres de demain : les puissances de la Conférence de Berlin se positionnent méthodiquement, systématiquement, pour s’assurer, quand et autant que nécessaire, la maîtrise de la guerre afin que l’Afrique soit et reste leur avenir à eux, à jamais et exclusivement. Elles font et feront la guerre contre l’avenir de l’Afrique, contre l’avenir des Africains, contre l’avenir de leurs rivaux, alliés ou ennemis. Car dans son recyclage, l’esprit de Berlin se détraque en se radicalisant. Et les alliés de la fameuse Conférence sont aussi désormais des rivaux, souvent sur les mêmes terrains, contrairement à ce qui fut hier, dans la bonne logique de la dérégulation capitalistique du 21ème siècle. Et contrairement à ce qui avait cours au 19ème et au 20ème siècle, la logique dominante ne semble plus tenir compte des droits du premier installé. De cette évolution les conséquences actuelles et surtout potentielles sont incalculables.
A bien y regarder, elles ne sont rien d’autre que le produit et l’impact de Berlin 1885 ! Berlin… Berlin… Berlin… A l’heure où partout sonne l’appel de la reprise en mains de leur destin par les enfants d’Afrique, peut-on envisager « Berlin » autrement ?
Après avoir lu l’excellent ouvrage de Benoît Bouato, la réponse s’imposera d’elle-même : le temps est venu de Dé-Berliniser …
« Otez ce genou de mon cou », suppliait en 2020 le nègre George Floyd sous la pression de son blanc bourreau Derick Chauvin. C’est ce même cri que l’Afrique entière se doit d’élever vers le Ciel pour que les chaînes nouées à Berlin soient brisées. Mais ne soyons ni dupes ni naïfs : Georges Floyd a rendu l’âme : ni le Ciel ni personne ne lui est venu en aide… L’Afrique ne sera pas davantage épargnée par la Prédation érigée en code de mondialisation depuis Berlin. Mieux ou pire – selon l’angle de vue, ce code est le même qui, au 21ème siècle encore, s’organise pour resserrer toujours plus fort les fers, densifier les chaînes… au nom de « l’Afrique, notre avenir » … Il faut rompre les chaînes ! Il faut larguer les amarres, si l’Afrique ne veut périr, sombrer définitivement.
L’ouvrage de Benoît Bouato vient donc à la bonne heure pour lancer l’alerte dont les Africains ont besoin. Alerte pour interpeller les hommes et les femmes du continent face aux producteurs de civilisation par le chaos. Il vient éveiller les Africains autour de cet ordre mondial unique, par essence inique – son iniquité absolue résidant dans sa prétention, totalitaire, à l’unicité. Mais de quelle « unicité » parle-t-on quand celle-ci reste aux fondements de la condition globale, instituée à Berlin, puis validée par la Société des Nations, et confirmée par l’Organisation des Nations Unies ? L’ouvrage se veut une invitation à « ouvrir les yeux », à actualiser la guerre contre l’injustice, la chosification des personnes, la déshumanisation de toute une race. L’ordre mondial est convoqué, dénoncé comme étant l’ancien ordre, juste relooké pour se dire nouveau sans cesser de rester concentré entre les mains des puissances de la vieille époque, au mépris des évolutions du monde.
Même après qu’on a proclamé le monde « global », la globalisation n’a pas remis en question cette inique unicité instaurée, convenue et scellée par la Conférence de l’hiver 1884/1885. La globalisation n’a pas remis en question l’organisation de la société internationale. Mais en même temps elle a prêché et prêche la démocratisation, le pluralisme, tout en laissant en place, au-dessus des jeunes démocraties et avec la capacité de les subvertir et les contraindre toujours, des instances de tyrannie et de dictature contrôlées par une oligarchie qui tient à contrôler le monde et qui le contrôle si bien que tous les aspects et tous les compartiments de l’existence sont aujourd’hui confisqués par les mêmes, érigés ipso facto en patrons de la pensée, de la conscience, alors qu’eux-mêmes ne manifestent que le plus souverain des dédains pour la philosophie, la morale, l’éthique et l’élévation spirituelle.
Même lorsqu’ils manifestent – de façon certes velléitaire – un intérêt pour la montée en puissance, sinon des idées, du moins des impératifs écologiques, ils restent hantés par les mêmes spectres. Alors que l’Afrique n’a pas de responsabilité dans le désastre écologique, elle est placée dans une camisole de force où elle risque d’assumer plus que les bénéficiaires de la désagrégation du monde. Et lorsque ceux-ci prétendent vouloir adresser ladite désagrégation, tout se passe dans la pure manipulation, afin de laisser dans les seules mains de ceux qui tiennent les leviers la possibilité d’agir, d’encenser, de condamner et, au besoin, de détruire.
Pour Benoît Bouato donc, le mal de l’Afrique, en fin de compte, n’a pas d’autre fondement : c’est Berlin. Oui, le Mal de l’Afrique, c’est la Conférence de Berlin dans sa permanence.
Nous en déduisons tout naturellement que la reprise en main du destin de l’Afrique ne peut pas être autre chose que la dé-Berlinisation de l’Afrique. Il faut « dé-Berliniser » l’Afrique !
Cet ouvrage, s’il est très historique, ne dit pas autre chose qu’une urgence, une urgence du présent et de l’avenir : l’urgence de dé-berliniser l’Afrique. Elle passe par une série de renversements incontournables : le renversement de la confiscation de la liberté d’éduquer et la reprise en mains propres de nos systèmes éducatifs ; le renversement de la désorientation des institutions étatiques africaines, le renversement de l’abâtardissement de la représentativité des nations et des communautés africaines, mais aussi la déconfisquation du contenu des luttes de libération, y compris des nouvelles luttes de libération politique contre lesquelles sont déployées les insurrections « populaires » assistées… contre les régimes « indociles » sur le continent.
Comment ne pas le dire ? Tout cela participe d’une authentique, méthodique, et définitive démarche de re-décolonisation. Déjà, il ne fait plus mystère depuis longtemps que la décolonisation de l’Afrique après les indépendances n’a été qu’une savante organisation de la perpétuation de l’esprit de la Conférence de Berlin, C’est pourquoi la re-décolonisation ne peut et doit être à son tour que l’émancipation vis-à-vis de cet esprit. La dé-berlinisation en devient ipso facto un impératif catégorique.
Dans le cas contraire, les élites et les cadres en charge de la gestion des jeunes Etats deviennent, comme cela fut souvent le cas, et même à leur corps défendant, de nouveaux colons, des colons domestiques ou « endocolons ». Ils constituent et administrent de nouvelles catégories d’esclaves, des cohortes de colonisés, compromettant toute perspective de développement d’un capital humain correspondant aux enjeux. Même hors du continent, les diasporas vont devenir des néo-esclaves à qui l’on retire la nationalité ou à qui l’on accorde de nouvelles nationalités sur mesure, le seul objectif étant qu’ils accomplissent le service du Maître, le service de Berlin… soit à travers des cooptations individuelles soit, plus structurellement, par le biais des accords dits de coopération ou d’assistance, qui sont en réalité des cadres de partages léonins, truffés de clauses secrètes, lieux de compromissions diverses, cimetière des souverainetés, entraînant et impliquant, dans sa systématicité paresseuse, des acteurs autres que ceux du Pacte originel.
Mettre fin à l’infantilisation, à la manipulation et au détournement des opinions africaines, comme le fait ce livre, est assurément une entreprise de salut public. Elle mérite de prospérer.
Une contre-conférence de Berlin s’impose… pilotée d’un point de vue africain, c’est-à-dire du point de vue de ceux à qui furent arrachées leurs terres, leurs ressources naturelles, leurs économies, leurs sociologies, leurs valeurs, leur spiritualité, leur dignité, leur humanité.
Dé-Berliniser l’Afrique !
Car, comme le montre ce livre, sans dé-Berlinisation s’élargit et se cristallise le spectre de la colonisation sans fin. Avec la dé-Berlinisation, voilà assurée la débalkanisation, voilà libérées les énergies enfouies dans les substrats des cultures précoloniales violés et bannis, voilà reconnectée l’Afrique de générations actuelles à l’Afrique des profondeurs, voilà retrouvées les bases inaliénables de l’intégration et de l’unité émancipatrices de l’Afrique. –
Charles Binam Bikoi
Sécrétaire exécutif du CERDOTOLA