De la poétisation du passé : lecture critique de Réminiscences et de Reviviscences de Ismaël TETA.

De la poétisation du passé : lecture critique de Réminiscences et de Reviviscences de Ismaël TETA.

Ismaël TETA est un écrivain, dont le genre littéraire de prédilection est la poésie. Dans ce compte-rendu critique, nous analysons ses recueils de poèmes Réminiscences et Réviviscences, respectivement publiés en 2017 et 2022. Nous avons lu ces œuvres séparément, puis simultanément. Et ce, à partir d’une posture critique, qui nous a permis de dégager la compétence esthétique du poète à poétiser le passé.

Chez Ismaël TETA, la poétisation passe par la sublimation du passé et l’aspiration à un monde sain, associée à un fond de nostalgie et de désespoir, l’attachement à une vision positive et optimiste de la vie, à une continuité porteuse de valeurs.   De fait, à travers ses œuvres que nous analysons ici, le poète nous donne à apprécier sa capacité à traduire, dans un langage non scientifique, et fortement accessible aux « initiés » de la chose poétique, les crises ( sécuritaires, sanitaires, climatiques, politiques, hydriques, sociétales) et les aventures/mésaventures (amoureuses, touristiques etc.) qui font et défont nos trajectoires sur cette terre des Hommes. Autrement dit, trouver à travers l’écriture poétique un moyen de dénoncer, sans formuler d’accusation, des réalités violentes ou merveilleuses à partir du passé.

Une écriture singulière à écho pluriel et à résonnance universelle.

Dans ses écrits littéraires produits jusqu’ici « Réminiscences » et « Reviviscences », le poète entreprend ce qui nous apparait comme le dépouillement d’une forte conscience affective. Ces souvenirs parfois touffus et confus mais jamais éparpillés qui jalonnent toute notre vie. Des remembrances déclenchées par « la madeleine de Proust », c’est-à-dire, la résurgence de certains ressouvenirs, parce que provoqués par des morceaux choisis des expériences de la vie quotidienne, éventuellement professionnelle et des rencontres vécues ou déjà vécues, qui reviennent à la mémoire et à l’esprit fortuitement ou volontairement. Et qui, tout en revisitant sans agrafes l’existence du sujet-humain, pas forcément Ismael Teta donc, invitent les lecteurs que nous sommes en toute subtilité à adopter une néo-posture critique ouverte sur une certaine « démarche cosmopolitiste », qui transcende les cartographies particulières, dont le but est de mieux ordonner et de fertiliser nos trajectoires sur cette terre des Hommes.

L’écriture de Ismaël TETA nous suggère la lecture d’une forme poétique d’écriture de soi d’un Moi[1]dans toute sa transparence et dans toute son opacité. Ceci, non seulement pour laisser libre champ à la caricature d’une quête permanente et constante de la place de « l’image du Bon/Mauvais Dieu » dans son parcours existentiel, mais également son désir d’embrasser l’inconnu- l’autre soi- sans «honte de [l’] aimer/Sans[le] connaître [et]/Sans[le] posséder ». Sous le préau du respect de sa vision du monde. Car, « Même si j’en suis pas heureux, mon âme n’en est pas malheureuse ».

 À mesure qu’il commet des œuvres, on a l’impression que le poète  conçoit et aborde l’existence comme une certaine ouverture à l’Autre par la médiation d’un itinéraire et d’une histoire peu ou prou communs. Et dont la débouchée jouissive à un écho pluriel et une résonnance universelle vis-à-vis du monde, ses réalités et le cortège de satellites qui le font, l’alimentent, l’irriguent et l’animent. Comme quand dans son œuvre poétique Balafons le poète Engelbert Mveng chante la trajectoire d’un « Je », qui se transforme progressivement, poème après poème, en expression déguisée d’une pluralité, d’une totalité conjuguée: « Je », « nous», « tout », « tous » global !

D’une part, on voit se dresser comme une réécriture-immortalisation des épreuves du temps d’un itinéraire singulier dont la résonance se voudrait objective et universelle-plurielle en tandem. Et d’autre part, du rendu de la somme des expériences d’un passé qui survit dans le présent, en même temps que les expériences présentes vivent avec les empreintes et les traces du passé. Sans aucune faille. Ce paradigme pose d’emblée l’objet de cet opuscule comme le tremplin du décryptage des amours-désamours, des joies, des peines et des errances d’une âme humaniste et d’un humanitaire « Libre de connaître d’autres hommes/ [et] Libre de connaître d’autres femmes ». Sur aplomb d’une démarche, à fort goût d’une macédoine de thèmes,- qui suscitent chez le lecteur émotion, révolte, compassion et réflexion – couverte du voile subversif d’une versification mêlée, rimée et ceinte d’une audace poignante et sybarite du style.

Heureux qui comme Ismaël Teta…avance en regardant sa vie!

En constant mouvement dans sa vie et dans le monde, le poète IIsmaël TETA se sert de l’écriture pour transmettre sa part de bienveillance, de générosité, de regret, de désespoir, d’espoir, d’insouciance, de reconnaissance, de gratitude : de révolte ! Non pas en pédagogue, mais à la manière de « l’Ulysse contemporain » qui, en quête de lui et du monde, à partir de sa propre trajectoire, souhaite le bien des humains et du monde dans lequel ils vivent sans faire attention à rien. D’ailleurs, dans Reviviscence, il affirme péremptoire : « Tous les Saints le savent, les pêcheurs aussi » (p.62).

Il est constamment construit un mécanisme d’auto-reviviscence où, à partir de notre passé, nos souvenirs et nos traces aidant, nous travaillons à ordonner, téméraires, notre avenir jour après jour. Dans ce sens, les poèmes de TETA se posent comme la solide passerelle qui nous permet de marquer une pause, au prisme de nos rencontres, de nos expériences et de nos échanges, qui vivent et survivent les uns dans les autres. Le but ultime d’une pareille démarche étant de regarder nos vies, comme dans une glace, sans narcissisme, afin de s’auto-évaluer et de se projeter avec beaucoup d’optimisme vers l’avenir, de plus en plus incertain, en ce siècle viscéralement brutaliste et marqué par les violences généralisées.

Dans son écrit poétique TETA prend beaucoup de libertés en enrichissant la langue avec des procédés qui lui sont propres, notamment dans Reviviscences :

« Tu es avec leur Dieu ou contre leur Dieu, punto final/

I mean, Moi si je n’aime pas, c’est pas Réminiscences et Reviviscences constituent une ouverture remarquable sur la problématique du langage comme indicateur du brassage culturel, à l’ère de la mondialisation.

Tout compte fait, au-delà du tableau d’un passé lyrique, emprunt de la description des parricides et des autres violences généralisées dans un monde au bord de l’implosion, la nouveauté d’un point vue thématique chez Ismaël TETA restera, sans détour, la valorisation et le respect de l’Autre soi que ses œuvres posent comme la clé pour sortir de toutes les crises endogènes et exogènes qui secouent l’humanité. 


[1] Allusion faite au poète, car son écriture n’est nullement autobiographique, même si par endroit certaines références topographiques coïncident avec certains endroits qu’il a fréquenté.

Par Baltazar ATANGANA 

Critique littéraire

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