« Dernières nouvelles des écrivaines béninoises », (Anthologie)

« Dernières nouvelles des écrivaines béninoises », (Anthologie)

Quinze femmes se sont entendues pour répondre à l’invitation de Rodrigue Atchahoué. Quinze femmes de lettres se sont rendues chez Rodrigue Atchaoué. Et le résultat, le savez-vous? Eh bien! Elles ont accouché d’un bébé commun admirablement baptisé : « Dernières nouvelles des écrivaines béninoises». Mais attention! Ceci n’est pas le chant du cygne, encore moins le dernier né avant que dame ménopause ne prenne possession de son règne. « Dernières nouvelles des écrivaines béninoises»  ne vient pas signer la fin de carrière de nos chères auteures. Écoutons d’ailleurs le promoteur de cette anthologie expliquer le titre : « Comme pourraient le croire certains, dans le titre « Dernières nouvelles des écrivaines béninoises », l’adjectif ne désigne pas « ultimes, comme pour sonner le glas, mais « fraîches », récentes ». »[1] Le terrain étant ainsi balisé, il reste à savoir quelles sont ces femmes qui nous offrent ce coffret de quinze nouvelles « fraîches » comme la rosée des matins d’harmattan au pays du Tchoukoutou. Elles ont pour nom Anirelle AHOUANTCHESSOU, Adélaïde FASSINOU, Lhys DEGLA, Ganiath BELLO, Myrtille HAHO, Sophie ADONON, Myrtille HAHO, Mimosette KODJO, Carmen TOUDONOU, Annie CAPO-CHICHI, VIviane DJAKO, Eléna MIRO, Barbara AKPLOGAN, Perpétue ADITE, Marina HOUNNOU. Quinze auteures de la génération X à la génération Z en passant par la génération Y, mettent sur le marché un recueil de nouvelles truculentes, succulentes et épicées ayant pour dénominateur commun le sujet qui fait couler le plus d’encre et de salive: la femme. Ici, nous sommes loin des lois du couvent ou du Landerneau. Ici, ce qui réunit, c’est la truculence des plumes. Mais au-delà de cette truculence qui s’harmonise fort bien avec la volonté de ces femmes de s’affirmer comme pierre indispensable à la construction du monument littéraire béninois, au-delà de cette truculence donc, ce qui est frappant, c’est l’émerveillement final qui vous reste et vous emporte dans un monde mi-irréel, mi-réel où des visages vous hantent constamment. De quoi est-il question en réalité dans ces quinze nouvelles? Et quelles leçons peut-on en tirer en définitive? Voilà les questions auxquelles le présent travail essayera de répondre.

 

 

 

I- De quoi s’agit-il dans le recueil?

Anirelle AHOUANTCHESSOU plante le décor. « Entre rêve et vie« , elle nous fait entrer dans l’intimité du trio détonateur Edy, Sarah et Marcy. Sarah et Marcy sont des amies inséparables, même le doigt, même l’eau ne saurait trouver de faille ou de brèche pour s’ingérer entre elles. Elles fêtent leur anniversaire de naissance le même jour et ont beaucoup d’autres choses en commun. Sarah est la fiancée de Edy. Ils célèbrent le mariage. Entre temps, Edy a commencé à regarder Marcy avec des feux enfiévrés et concupiscents, en avalant goulûment de la salive. Par un concours de circonstance, Edy devait la raccompagner. Arrivé chez Marcy, il laisse libre cours à ses instincts libidineux, bestiaux. Marcy est souillée et outragée jusque dans son âme. Comment le mari de sa meilleure amie pouvait-il entrer dans son intimité par effraction et par violence? Elle s’éclipse. Des mois plus tard, un coup de fil met Sarah en branle. Elle se voit mère adoptive du fruit du viol de son mari sur sa meilleure amie. La terre tournait autour d’elle quand elle lisait la lettre que lui a laissée Marcy avant son voyage vers l’Hadès. Rêve ou réalité? Les réalités de la vie n’ont rien à foutre de nos rêves, fussent-ils nobles, légitimes, guindés ou biaisés.

 

Anirelle AHOUANTCHESSOU

Adélaïde FASSINOU assène un coup sonore à Max, amoureux de « La fiancée de l’autre« . Son rêve de faire de Patricia sa proie, son piment des plus beaux jours, son rêve d’avoir un deuxième bureau s’effrite quand Pablo le confronte à la réalité: « Monsieur, je vous ai bien dit que c’est ma fiancée » (p 40). Œuvre de tant de sueur, de cadeaux et de billets de banque partie en fumée. Max comprit qu’il devait s’occuper de sa femme Mimi et de sa famille. Belle conversion, dira-t-on! Eh bien, Lhys DEGLA semble abonder dans le même sens avec son « En (quête) d’identité« .

 

Adélaïde FASSINOU

 

Derrière la fiancée de l’autre peut se cacher le mari d’une autre. Sotima se surprend laissant la soif de son cœur l’emporter sur ses convictions et principes. La voilà en plein ébat avec son patron. Et pourtant, elle ne l’a pas fait par intérêt. Mais pourquoi? En attendant de le savoir, elle prend la ferme résolution de ne plus fléchir mais de faire diligence pour tenir ferme. Pourra-t-telle y rester fidèle. Qui a bu ne continuera-t-il pas de boire?

Lhys DEGLA

 

Ganiath BELLO pousse loin cette question et la fait culminer dans cet adage Mina : « le lion n’abandonne pas ses anciens comportements« , car « Le passé, une cicatrice indélébile  » poursuit toujours l’homme comme le suit son ombre.

Ganiath BELLO

L’auteure réalise une œuvre remarquable mais en même temps, elle met en scène un personnage obscène, exécrable. Abèkè est son nom, une monstre à la fois briseuse de couples, croqueuse de mari d’autrui, manipulatrice et criminelle. Et chose étrange, elle se tire toujours d’affaire. Comment comprendre que pour l’anniversaire de son amant, Serge, elle lui envoie les preuves de leurs ébats de la veille (préservatifs, dessous etc.). Le cadeau atterrit dans les mains de Ingrid, la fiancée légitime de Serge.? Folle de joie, elle déballe le cadeau sous le regard hébété des convives. Imaginez un peu la scène. C’est avec la cravache que Ingrid a mis fin à son idylle avec Serge qu’elle battit à mort. La même Abèkè attire dans ses rets le mari de son amie, un douanier qui devait faciliter ses transactions de femme d’affaire. On retrouve le corps en décomposition du monsieur quelques jours plus tard. Abèkè voit son magasin incendié. Elle connait les auteures du drame. De retour en prison où son corps et ses charmes lui servirent de panacée, elle ne tardera pas à leur régler leur compte. Ingrind et la femme du douanier. Femme fatale! Femme létale! Mais aussi femme fataliste et réaliste, à en croire le portrait que Sophie Adonon dresse de « Adjoua et ses échelles« .

Sophie ADONON

Avec « Adjoua et ses échelles », nous assistons ici à l’entêtement du destin qui parfois refuse que nous nous laissions emporter par la fatalité. Paradoxe d’une vie qui vous prive de tout et vous condamne à vivre le dénuement, l’humiliation et l’avanie. Adjoua, ruinée et détruite, décide de se suicider par pendaison. Toutes les tentatives sont vaines. Une nuit, les fils du propriétaire viennent la violer. Nuit tragique. Au fort de la désolation, elle reçoit une consolation. Son livre de conte bilingue fon-français est retenu par l’UNESCO. Adjoua passe des ténèbres à la lumière. »[1]. Mais la lumière pourra-t-elle luire dans la nuit de ses nuits blanches? De toute façon, en signant « Confessions de mes nuits blanches« , Myrtille HAHO livre un récit pathétique aux portes de l’élégie.

 

Myrtille HAHO

Vrai puzzle. Un labyrinthe, ce texte qu’il faut lire en commençant par la fin, du moins le milieu. La presse répand la nouvelle selon laquelle Chetan aurait « violé la fille unique du premier ministre« . Soumia DIckongui est au bord de la déchéance. La prison l’accueille. Dans la foulée, sa dulcinée se convainc qu’on l’a fusillé. Et comme pour faire le deuil de son amant, elle s’embastille. Vie d’anachorète et d’anorexique. Noir et désespoir. Une guerre éclate. Chetan, comme un revenant ou comme dans un rêve, réapparait mais en chair et en os. Illusion. Hallucination. Amertumes. « Descente en enfer. » C’est justement le circuit que Mimosette fait suivre aussi à la prédatrice de sa nouvelle « Descente en enfer« .

 

Mimosette KODJO

Une professeure, Théa Mulongo, femme de petite vertu,  tombe amoureuse de son élève et se met à le harceler. Devant le refus du jeune Rodney, elle se sent humiliée. Elle huile sa machine de répression et fait vivre l’enfer à Rodney. Dépassé, le jeune porte plainte. La justice se saisit de l’affaire et Théa se retrouve en prison. Mais la prison, ce n’est pas nécessairement les hauts murs où l’on est privé de sa liberté. La solitude peut en être aussi une. C’est ce qu’on découvre chez Carmen TOUDONOU dans sa nouvelle  » Seule« .

 

Carmen TOUDONOU

Ici comme chez Myrtille, nous sommes comme en présence d’une confession, un soliloque douloureux. Une artiste dotée d’une belle voix qui n’a d’amis que de fans et d’adulateurs, mais qui en réalité vit une solitude déchirante. Elle eût bien voulu avoir une fille. Mais la nature l’en a privée. Elle croit le suicide sera la solution à ses malheurs.

 

 Annie CAPO-CHICHI

Les malheurs, il y en a à chaque carrefour de la vie. Sous la plume de Annie CAPO-CHICHI, Innocente, dans la nouvelle « La coupable » est accusée d’avoir tué son mari. Pour lui faire avouer son crime, on l’enferme dans une chambre où gît sur la braise et le tourteau, un piment dont la fumée lui perfore les poumons et les voix respiratoires. La famille de son défunt mari la prive de la jouissance des biens laissés par celui-ci. La vie n’est pas que pronostic.

 VIviane DJAKO

Viviane DJAKO, via son « Pronostic vital« , met en scène Florent, un mari brutal. Sa fille unique reçoit en plein visage le couteau qu’il a lancé à sa femme. L’enfant survivra-t-elle? Pauvre Néno… Pauvre Alanda, « L’homme sans que« , fils d’un grand gynécologue.

 

Mireille GANDEBAGNI

Mireille GANDEBAGNI dit qu’il avait un destin tout tracé. Mais Alanda oblige son père à l’inscrire, après son BAC, dans une école de Musique. Il devient disciple de Bob Marley, transportant sur sa tête une tignasse de Jah, au grand mécontentement de son papa. Le comble, Alanda quitte l’enclos paternel pour Ghana où il eut un enfant. Un beau matin, on le revoit chez son papa, déglingué, désarticulé. Quel gâchis! Quelle tragédie! Ainsi se résume la nouvelle de Eléna MIRO  » Feux d’artifice« .

 Elena MIRO

 

Les attentas de Nice en France on servi de trame à cette nouvelle. Arcade y perd sa femme et ses enfants. Si seulement il avait écouté sa femme qui avait des prémonitions et ne voulait pas du tout effectuer le voyage sur Nice!…

 

Barbara AKPLOGAN

On n’écoute pas toujours son cœur. Et tout n’arrive jamais comme prévu. Barbara AKPLOGAN, in « Mon souffle« , nous montre les imprévus de l’amour. A l’inverse de Mimosette, elle présente une élève amoureuse de son professeur. Mais cette dernière n’a jamais eu l’occasion de lui avouer ses sentiments. Bien des années plus tard, ils se retrouvent. Elle avait bien grandit. L’amour d’antan était toujours là, couvant sous la cendre. Début d’une idylle qui ne devait pas durer longtemps. Le jour où la fille était prête à donner une réponse à son ami qui la voulait pour épouse, ce dernier lui montra un doigt où brillait une bague. Déception. Mais l’amour était toujours là. Le monsieur part en Europe. Ses nouvelles se font de plus en plus rares jusqu’au jour où la fille reçoit une lettre annonçant sa mort et sa volonté de faire d’elle son héritière. L’amour fou est aussi au rendez-vous chez Perpétue ADITE.

Perpétue ADITE

A travers « Le vœu de l’offense » elle nous fait découvrir, à travers une plume drue et crue, une Audrey amoureuse de Gratien qui n’est pas de la même religion qu’elle. Et face au refus de sa mère qui ne voit pas cette relation d’un bon œil, elle se livre à son amant, consciente de tout ce qui peut en résulter. Un soir dans le couloir, elle montre le test de grossesse à sa mère. Hébétude. Bouleversements!

 

 Marina HOUNNOU

Marina HOUNNOU clôt le débat avec « Les compagnes de la malchance« . Jérôme et Sophie sont renvoyés de la maison par leur père qui ne voulait pas payer leurs frais de scolarité. Dans la rue, ils sont livrés à la mendicité. Aladji les récupère. Il abuse de la fille. Le garçon, futé, réussit à avertir la police. Alladiji aura certainement des soucis.

 

II- Quelles leçons tirer du recueil?

L’œuvre est une parfaite réussite. Mon coup de cœur va à l’endroit des plumes que l’éditeur qualifie de jeunes dont on n’avait pas encore entendu parler. Elles ont su tenir le lecteur en haleine, gardant le suspense jusqu’au bout. Le style est riche et varié, truculent et éclectique. Il va de l’onirisme à la réalité en passant par la confession, l’élégie, la satire, la tragédie et le burlesque. L’œuvre s’ouvre sur un rêve et se referme sur un fait réel. J’ai aimé l’ordre des nouvelles. Par ailleurs, le livre aborde un certain nombre de préoccupations qui vont de la femme à l’enfance malheureuse en égratignant au passage les folies de l’amour et de la libido. Le phénomène du harcèlement est aussi abordé. L’œuvre a, par endroit, des relents subversifs qui invitent à voir la réalité en face, trop habitués que nous à victimiser les femmes. Il faut saluer ici le courage de Ganiath BELLO et Mimosette KODJO qui ont pris à rebours la sempiternelle rengaine selon laquelle la prédation est le propre des mâles. Il y a aussi un féminisme responsable qui apparait en filigrane dans la vie de Adjoua qui, au terme de ses déboires et déceptions, renoue à la vie et fait vivre les autres envers qui la vie n’a pas toujours été tendre. De l’infidélité conjugale chez Adélaïde FASSINOU à la tentation de céder au mari d’autrui chez Lhys DEGLA, on voit les auteures décrypter un fait de société qui n’est pas sans rapport avec la dictature et la censure parentale quant aux choix par les enfants de leurs compagnons de vie. Ce dernier cas est d’ailleurs mis en relief par Myrtille HAHO et Perpétue ADITE. La violence conjugale évoquée par Viviane DJAKO, et celle exercée contre les enfants (Cf. « Les compagnes de la malchance » de Marina HOUNNOU.) sont des faits récurrents auxquels nous sommes confrontés.

 

 

 

 

Ce bébé collectif engendré par nos quinze auteures, est le signe qu’ensemble on peut aller loin. Rodrigue Atchaoué, avec cette initiative, porte un démenti à l’adage que la jalousie des femmes les empêche de construire ensemble des œuvres qui durent dans le temps. Nous ne citerons pas la fable de La Fontaine : « Deux Coqs vivaient en paix ; une Poule survint,  Et voilà la guerre allumée. » Mais nous disons notre gratitude à Rodrigue pour cette anthologie réalisée sous sa direction. Et notre vœu, si nous pouvons nous en permettre un, est que cette initiative soit réitérée et s’étende à davantage d’écrivaines.

Rodrigue ATCHAHOUE

 

Conclusion

Les « Dernières nouvelles des écrivaines béninoises« , (Editions Savane 2017, 204 pages ) ce sont les premières nouvelles que ces dernières ont écrites en commun. L’œuvre, dans sa beauté, ressemble à ses auteures. Elle rassemble des nouvelles qui nous interpellent et nous relancent sur des chemins nouveaux où nous pouvons, à travers les mots accouchés, regarder sans hypocrisie le vrai visage de notre société telle que dépeinte ici. Que tout amoureux de belles lettres s’en saisisse et que tout chercheur d’aventures en fasse sien. Car il y a une surprise à ouvrir ce livre. Si vous voulez savoir la vraie nature de la femme, ouvrez ce livre. Il est écrit  » Ce que femme veut, les mannes l’acceptent en fermant les yeux« [2]. Cela ne veut pas dire que les femmes sont la cause des malheurs du monde, mais qu’elles sont encore celles qui pansent les plaies du cœur d’un mari infidèle, en tant qu’elles sont « les mères de l’humanité entière« . (P. 42). Ne lisez pas ce livre. Laissez-vous habiter et enivrer par ses effluves.

 

[1] http://biscotteslitteraires.com/2021/echos-de-femmes-sophie-adonon/

[1] Rodrigue Atchaoué, Dernières nouvelles des écrivaines béninoises, Editions Savanes, Cotonou, Bénin, 2016, P.11

[2] Jean Malonga, La légende de M’pfoumou ma mazono, Présence Africaine, Paris, 1954, P 39

2 comments

Toutes mes félicitations à ces auteurs! Je suis pressé de découvrir les richesses cachées dans ce nouveau bébé de la littérature béninoise. Et merci à Biscottes littéraires pour cette présentation qui nous donne envie d’aller vers le livre.

Hâtez-vous de lire l’ouvrage. vous ne serez pas déçu, cher Hervé K. EZIN OTCHOUMARE

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