LE SEIN MAUDIT, Kouassi Claude OBOE

LE SEIN MAUDIT, Kouassi Claude OBOE

Il était une fois, un homme nommé Kpossou. Il vivait dans le village de Nyandoè, un village du royaume de Houélété. Kpossou était d’une cruauté et d’une nervosité légendaire et sans pareilles. Marié à trois femmes depuis plus de vingt ans déjà, il était père d’une quinzaine de filles, aucun garçon. Mais avec sa dernière épouse, Foutou-Foutou, qui était sous son toit depuis six ans, il n’avait pas connu la joie de la paternité. Kpossou tenait à avoir au moins un garçon. « Que sert à l’homme de mourir sans laisser d’héritier?« , ne cessait-il de ressasser.

Le découragement et le désespoir s’emparèrent de lui, puisque ses libations et autres sacrifices aux dieux, n’arrangèrent en rien sa situation. Il cessa de croire en son rêve de laisser un héritier avant de quitter cette terre. Sa dernière femme, Djogbénywen, une belle femme, la trentaine, lui disait de croire en la providence. Cette dernière, Kpossou l’avait justement épousée pour qu’elle lui donne au moins un garçon. Mais voilà que depuis, rien n’a bougé. Son sein est resté aussi sec et fermé qu’une seiche. Aucun pleur de bébé dans sa chambre. Même pas une fausse couche. Elle essuyait régulièrement les railleries et quolibets de ses coépouses, qui même si elles n’avaient pas donné de garçons, avaient tout au moins des filles. Cette situation, bien qu’elle la rongeât de l’intérieur, Djogbénywen était pleine d’espoir et était convaincue que son soleil se lèverait. Elle ne répliquait jamais à ses coépouses. Bien au contraire, à qui l’offensait, elle offrait le pardon, aux moqueries, elle offrait son sourire qui ne la quittait jamais. Progressivement, elle commença par perdre l’estime et la protection de son mari. Et à cause de son statut de femme mariée sans enfants, les basses besognes lui incombaient désormais. Kpossou l’ayant appris, ne fit rien pour la soulager. Mais Djogbénywen s’en acquittait avec amour et joie. Elle ne maugréa pas, ne rouspéta contre personne, ne se plaignit pas. Elle priait intérieurement que les dieux la prennent en pitié et lui accordent la faveur de la maternité.

Un soir, Kpossou reçut un visiteur étrange, un homme sale, couvert de plaies et de guenilles, les yeux larmoyants, le visage couvert de bave, les cheveux remplis de poux. Il tendait la sébile. Kpossou, sans savoir pourquoi et comment, voyant qu’il se faisait déjà tard, pria le visiteur de passer la nuit chez lui. Ses femmes s’en étonnèrent, car de mémoire d’homme, c’était la première fois que leur mari faisait un geste de bonté. Mais nulle d’entre elles n’eut le toupet d’en piper, ne serait-ce qu’un seul petit mot. Kpossou installa l’étranger dans une chambre destinée aux visiteurs, située à l’autre bout de la concession. Pendant le repas, un autre miracle se produisit. Kpossou invita l’étranger à sa table. Djogbénywen les servit, et s’éclipsa. Après le repas, le visiteur demanda à se retirer dans sa chambre.

 

Le lendemain, avant l’aube, Djogbénywen comme à l’accoutumée, se leva pour vaquer à ses occupations. Elle fut surprise de découvrir que la chambre du visiteur était ouverte. Elle s’en inquiéta et alla informer son mari. Ce dernier la suivit et vint constater les faits. L’étranger avait laissé l’intérieur de la chambre dans un état déplorable. Y régnait en effet un grand désordre: les objets en vrac, le mur sali, les tissus déchirés. Sur le lit, le constat était aussi accablant qu’inquiétant. Les pagnes étaient mouillés et sentaient l’urine. Pire, l’étranger s’était mis à l’aise sur le lit et se torcha avec la couverture. Une autre surprise, au beau milieu de la chambre, trônait un grand pot rempli de vomissures et d’excréments dont l’aspect témoignait d’une diarrhée sauvage. Toute la chambre puait et on ne pouvait pas y rester sans boucher les narines. Les autres coépouses, devant leur mari, exigèrent que ce soit Djogbénywen qui fasse le nettoyage de la chambre. Sans rien dire, elle laissa le travail qu’elle faisait, et se mit à nettoyer la chambre, les lèvres auréolées d’un sourire frais et angélique. Cela lui prit une bonne partie de la matinée. Ensuite, elle retourna à ses occupations ordinaires comme si de rien n’était.

 

Kpossou resta troublé durant toute la journée à cause de ce qu’avait fait l’étranger. La nuit, il eut envie de Djogbénywen, lui qui ne l’avait plus touchée depuis des lustres et l’accusait pourtant d’être une femme sans enfant. Vu que la chambre de l’étranger était nettoyée et rutilait de propreté, Kpossou y invita Djogbénywen. Il voulait juste se satisfaire, convaincu par les devins de la sécheresse irréversible du sein de Djogbénywen. En effet, « Elle ne peut jamais concevoir » avait-on affirmé lors des nombreuses consultations qu’il avait faites.

Pourtant, un mois après cette nuit passée dans la chambre de l’étranger, Djogbénywen était enceinte. Elle attendit encore un mois pour être sûre de n’être victime d’une hallucination. Au troisième mois, le bruit commençait à circuler que « la femme aux entrailles de pierre » était enceinte. Oui, la femme au sein maudit allaitera bientôt. Personne ne voulait croire. Elle-même avait du mal à y croire, puisqu’elle ne savait pas non plus ce qui s’était passé. Au fil des jours, son ventre doubla de volume, à la grande désolation de ses coépouses. Son mari se mit à la traiter comme une reine. Il prit soin de cette grossesse et quelques mois plus tard, Djogbénywen donna naissance à deux paires de jumeaux : un quadruplet. Les quatre garçons étaient costauds, bien portants, solides et braves. Kpossou, tout heureux d’avoir ses descendants, alla consulter de nouveau l’oracle :

 

– Djogbénywen a reçu une bénédiction de conception le jour où elle a accepté nettoyer la chambre de l’étranger, car ce sont les dieux qui se sont transformés et l’ont récompensée de sa loyauté, de sa bonne foi et de son humilité. Les dieux ont donc récompensé la personne qui avait pris soin d’eux. C’était un test. Elle l’a passé avec brio. Et ce n’est que le début. D’autres merveilles s’accompliront encore dans sa vie.

C’est alors qu’il comprit, que le geste de Djogbénywen, pour avoir nettoyé la chambre sale, était devenu pour elle et pour tous, source de bienfaits et de bénédictions.

De retour à la maison, Kpossou fit de Djogbénywen sa préférée à qui il confia tout. Mais contre toute attente, Djogbénywen déclina l’offre et préféra garder sa place de troisième épouse « bonne à accomplir les basses besognes« .

 

Quelques années plus tard, le chef du village mourut. Kpossou fut désigné par le collège des anciens pour assurer son intérim et préparer les obsèques du chef défunt et l’élection du nouveau chef. Les dés furent jetés. Le sort désigna une femme aux entrailles de panthère, c’est-à-dire celle qu’un d’un seul geste, a pu accoucher de quatre garçons bien portants et gaillards. Tous les devins aboutirent au même résultat. C’est ainsi que Djogbénywen, malgré elle et contre sa volonté, devint chef du village de Nyandoè. Elle avait droit de vie et de mort sur tout le monde, y comprit son mari et ses coépouses qui ne lui avaient pas rendu la vie facile.

 

Sept ans plus tard, le roi de Houélété enfouit ses mains dans la cendre : il venait de rendre l’âme. Les tractations commencèrent. Les chefs des villages constituant le royaume se concertèrent pour désigner le roi. Le sort, une fois encore, tomba sur Djogbénywen qui devint la reine. Tout le royaume de Houélété comprit qu’on ne peut rien modifier à ce qui est prévu par le sort. Tous se prosternèrent devant elle et firent allégeance. Ses coépouses renfrognèrent la mine, mais elle se prosternèrent tout de même. Dans leur cœur, elles maudirent leur mari qui était incapable de faire d’elles des mères de quadruplet.

Moralité : Quoi que tu fasses, le bien ou le mal, tu le fais à toi-même : tu le récolteras.

 

Kouassi Claude OBOE

4 comments

Enfouir les mains dans la cendre….voilà une phrase qui embarrasserait plus d’un académicien rompu aux belles lettres…..

Autrement dit, quand un africain pense dans sa langue maternelle pour écrire en français, on arrive à ce résultat…..

Monsieur Marcel, on dira simplement qu’Ahmadou Kourouma est passé par là. Il nous faut valoriser aussi nos langues locales.
Merci de nous suivre.

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