« Des Dieux éphémères »: quand humour et satire brisent des chaînes de silence

« Des Dieux éphémères »: quand humour et satire brisent des chaînes de silence

Ecrire l’Afrique, décrire le continent fait partie des préoccupations majeures des écrivains africains, qu’ils résident ici en Afrique où en l’étranger. Le résultat est le même : l’Afrique a de fortes potentialités, mais demeure toujours pauvres. Mais pourquoi une telle situation perdure-t-elle et qu’est-ce qui l’explique en réalité ? Sur ces questions, les auteurs sont partagés : les uns estiment que l’esclavage, la traite négrière, la colonisation, l’impérialisme en sont les responsables, tandis que d’autres affirment que l’Afrique est la principale cause de ses propres malheurs. « Des Dieux éphémères » et son auteur s’inscrivent dans dernière catégorie où le doigt accusateur est dirigé vers l’Afrique et ses dirigeants. A la lecture de ce livre de Yahn Aka, « Des Dieux éphémères », l’on est d’emblée habité par cette réflexion bien légitime à maints égards : « Est ce que Yann Aka nous a peint ses peurs, ses vérités et ses avertissements sur le devenir de la Politique africaine en nous l’emballant dans une œuvre simpliste,  ironique et teinté d’une trace d’humour qui s’apparente plus à de la dérision? »

J’aimerais qu’on aille au-delà de la forme de l’œuvre. J’aimerais qu’on transcende l’humour, les faits, et l’histoire de ce long récit de 74 pages. J’aimerais qu’on arrête d’y voir un roman « révolutionnaire » parce que alliant langue nationale et langue française avec souplesse et maitrise. J’aimerais qu’on scrute un peu plus près ce tableau que nous a peint Yahn Aka pour y lire entre les couleurs, les nuances et qu’on se pose enfin sur le dessin, le fond. Retour sur les faits saillants de ce livre.

A Ibièkissèdougou, règne un désordre politique sans nom. Les fonds destinés à l’Education sont pris en otage par un petit groupe de corrompus : celui des dirigeants du ministère de l’éducation populaire. Hormis le détournement et la corruption, le bureau du ministre, dans le but de plus s’empiffrer davantage, impose de faux frais aux étudiants d’Ibièkissèdougou. Très vite ces derniers découvrent le pot au rose et décident de dénoncer la supercherie. Une marche pacifique est alors programmée pour revendiquer leurs droits. Informées et alertées, les forces de l’ordre sont dépêchées sur les lieux et encerclent la cité universitaire : bastonnades, viols et humiliations. Les malheureuses éétudiantes qui tomberont sous le joug des forces de l’ordre se retrouveront emprisonnées et condamnées à faire de fausses dépositions sous menace de ne jamais recouvrer leur liberté. En prison elles se retrouvent face au sort réservé aux prisonniers et font la découverte d’un autre monde de délaissés, de méprisés enrôlés par la suite dans un long procès corrompu qui ne finira pas jusqu’à la fin de l’œuvre.

Des Dieux éphémères présente un tableau satirique peint sur un fond de revendications, de protestations et de dénonciations. Dans une république imaginaire, trois pôles essentiels se frôlent et se heurtent : la jeunesse, l’éducation et la sécurité. L’auteur a privilégié l’humour et le sarcasme et l’on remarque qu’il règne dans l’œuvre, du début jusqu’à la fin, un ton satirique, violent, saccadé et on y lit des discours qui s’enchaînent avec des mots crus, à l’instar de cette citation de Norbert Zongo : 《Il y a un mensonge , le vrai:[…] quand un intellectuel troque sa conscience et son âme pour des biens matériels; […] et quand un dirigeant agit comme s’il avait inventé son pays, quand il ruse avec les lois. Ce mensonge tue les hommes et les nations.》 Qu’est ce que la nation si les droits de sa jeunesse sont bafoués? Si la femme est malmenée? Qu’est ce que l’avenir d’un peuple si le système éducatif est pourri et subit la mainmise de dirigeants corrompus? Que peut-on attendre de mieux d’un ministère dont les dirigeants vivent dans l’opulence, méprisent leur fonctions et leur devoirs et passent leur temps à satisfaire leur besoin libidineux dans les locaux mêmes du ministère ?. La vétusté des outils de travail, le niveau d’étude des soldats formés moins pour la sécurité des citoyens que pour les violenter et les intimider. L’histoire de Winnie Mandela, la prise de parole des jeunes étudiantes et le discours des étudiants devraient être l’essence même de ce roman. « Parce qu’il y a un mensonge, le vrai: quand un homme applaudit sans comprendre;[…] quand un peuple refuse de se battre, de se responsabiliser parmi les autres […] ». Des Dieux, oui, mais qui peuvent être éphémères si une jeunesse se lève et combat. De ce roman retentit un appel à la jeunesse. Sachons aller au front, conscients de nos devoirs, sachons choisir nos combats, conscients de nos droits. Une alarme qui retentit et qui montre la voie à suivre.

Annette Bonou

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