» Je pense que la littérature béninoise a de très beaux jours devant elle » Épaïnète ADJINAKOU.

 » Je pense que la littérature béninoise a de très beaux jours devant elle » Épaïnète ADJINAKOU.

Bonjour les amis. Nous recevons pour vous aujourd’hui, un jeune auteur béninois, Épaïnète ADJINAKOU :  » D’après mes maigres connaissances en droit, il n’y a aucune loi qui consacre le métier de la prostitution au Bénin, comme c’est le cas dans d’autres pays « .

BL: Bonjour M. Epaïnète Adjinakou. Votre éditeur vous présente comme enseignant de français en formation à l’ENS de Porto-Novo et passionné d’art et de littérature. Je vous pose une question simple et banale : comment êtes-vous venu à l’écriture inventive ?
EA: Merci. Ma passion pour la plume a éclos depuis l’école primaire où ma génitrice enseignante m’invitait sans répit à la lecture des œuvres littéraires. A cet âge déjà, il fallait lire de gros livres pour faire plaisir à ma mère qui m’inondait de présents toutes les fois que je pouvais lui résumer une œuvre lue. A force d’être incessamment en duo avec les plus honnêtes gens des siècles passés, pour paraphraser Descartes, j’eus envie de faire comme eux. D’écrire pour amuser, éduquer, consoler, dénoncer et partager ma vision du monde avec mes congénères de la société.


BL: Vous venez de publier chez les Editions Savanes du Continent de Rodrigue Atchaoué, votre deuxième œuvre intitulée Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Comment le projet de ce livre est-il né pour vous ?
EA: Des intarissables débats entre mes collègues normaliens qui veulent tous des épouses vierges mais qui se refusent l’abstinence et mangent tous parfois dans le même plat.
BL: Le titre de votre œuvre fait étrangement allusion à un passage biblique très connu, tiré de l’épisode de la « femme adultère » de Jean 8 verset 7 sauvée de la lapidation par Jésus-Christ…pour la connotation à laquelle il renvoie surtout : il ne faut pas blâmer quelqu’un pour une erreur que beaucoup de gens font, et peut-être, plus que lui. J’ignore si on peut d’ores et déjà lire, à travers ce titre simple mais très osé, une véritable purge, ou une sorte de critique de l’hypocrisie souriante et ambiante qui règne en maître dans notre société. Mais j’ai envie de vous demander : que voulez-vous révéler véritablement à travers un tel titre ?
EA: Merci. Du titre, le lecteur a le loisir de faire toutes les interprétations possibles. A sa place, je pourrai dire que l’auteur est en rébellion contre cette tendance qu’ont les Hommes à très vite juger, ou qu’il cherche à faire la promotion de la tolérance et du pardon qui sont des valeurs essoufflées dans nos sociétés. Comme vous le rappeliez tout à l’heure, le titre remémore sans doute une histoire très connue de la Bible, ce qui pourrait laisser la passerelle au lecteur d’aller très vite en besogne et de s’imaginer l’intention de l’auteur. Toutefois, on peut creuser et en ressortir autant d’interprétations que de lecteurs.


BL: Je retourne à la présentation à votre sujet, sur la quatrième de couverture. Je disais il y a un instant, que vous en êtes à votre deuxième parution. Et tous ces deux livres sont étiquetés ‘’pièces de théâtre’’. Pourquoi avoir fait le choix du théâtre ? Profitez pour nous entretenir de votre rencontre avec le théâtre.
EA: C’est bien simple, d’abord ma mère, et après les quelques spectacles suivis et représentés moi-même (avec des camarades) ici et ailleurs. Quand il s’agit de lecture, maman ne badine pas, qu’on fasse la série A, B, D ou Z, la lecture des œuvres littéraires était bien souvent la condition sine qua non pour rentrer en possession des sous de semaine. D’ailleurs, ma petite sœur qui a fait la D n’avait jamais compris pourquoi devrait-elle lire voltaire, Guy de Maupassant, Gilbert Cesbron et d’autres livres intelligents d’auteurs coincés, que maman et papa ramenaient pour alourdir davantage la bibliothèque familiale. Elle nous apprit à concevoir des fiches de lecture à appliquer à une œuvre au moins dans un intervalle de 14jours (deux semaines). Au début, j’avoue avoir eu un mariage tumulteux avec la lecture à ce rythme. Puisqu’on pouvait nous-mêmes choisir les ouvrages à lire, fâché, je me dirigeais toujours vers la bibliothèque avec l’idée d’en ressortir muni d’un livre d’au plus 100 pages pour les deux semaines. Il n’y a que les pièces de théâtre qui répondaient généralement à ce critère et quelques romans. J’en ai lu beaucoup et ces dramaturges m’ont tellement fait adorer leur art que je trouve avoir été flemmard en lecture par le passé. Au collège, il m’est aussi arrivé, à maintes reprises, d’incarner des personnages de pièces de théâtre sur scène. Tout cela a contribué à mon amour pour le théâtre. Mais il n’en demeure pas moins que je suis aussi très attaché aux autres genres littéraires.
BL: Voulez-vous bien dire en quelques lignes, pour les lecteurs d’ici et d’ailleurs, ce dont il est question dans votre pièce ?
EA: « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » touche à beaucoup de choses. Cette œuvre nous présente par l’image à quel point la famille (le foyer) peut souffrir des réminiscences du passé et surtout des antécédents de la femme si celle-ci avait des compromissions avec l’abstinence dans ses jeunes âges. J’aurais pu faire simple et parler d’antécédents des deux partenaires, mais dans nos sociétés, il se fait que nous sommes arrivés à une bêtise qui fait croire que le mâle a plus de pouvoir et de liberté que la femelle (Et à mon avis, ce sont les luttes interminables pour réclamer la parité qui renforcent davantage l’idée de la dominance de l’homme). La jalousie de l’homme est bien plus grande que ce que l’on imagine. Elle est égoïste, gourmande et bien souvent obsession. Elle fouille le passé, le présent et le futur de la femme. Aussi, dois-je dire que l’ouvrage nous apprend un autre sens de l’amitié. Doit-on en tant qu’ami s’immiscer dans la vie sentimentale de l’autre ? Est-il utile de lui ressasser le passé de son épouse pour l’avoir connu ? Et la grosse question est de se demander si les professionnelles du sexe ne méritent pas une seconde chance dans un monde où tous les hommes veulent épouser des moniales. Voilà ce que je peux dire brièvement par rapport à l’ouvrage.


BL: Quand on lit votre pièce théâtrale, on se heurte à une véritable « justification éthique de la justice » pour reprendre une expression d’Albert Camus, à un cocktail de valeurs éthiques comme pour nous dire qu’il est dangereux de se prononcer trop rapidement, de condamner trop rapidement quelqu’un ou quelque chose sans en avoir soulevé tous les aspects possibles voire intimes. Comme l’a fait justement le personnage de Clément à l’égard de Monique dans la pièce alors que lui-même n’est pas si hygiénique dans sa vie. Est-ce un plaidoyer que vous faites là, pour amener les gens à un peu d’acquit de conscience dans leur jugement ? Quel est votre regard par rapport à la crise de valeurs à laquelle nous assistons aujourd’hui dans nos sociétés?
EA: Acquit de conscience, oui, nous en avons tous besoin. Je pense que nos jugements sont bien souvent hâtifs. Il faut pouvoir en toute conscience être le bon exemple de ce sur quoi on s’aventure à juger. William Sinclair nous apprend qu’il est bien de donner des leçons aux autres, mais qu’il est encore mieux d’être avant tout l’exemple parfait. Vous savez, j’aime bien faire comprendre ma pensée par des exemples. Pour rester coller à l’ouvrage, pensez vous qu’il y ait une différence entre les travailleuses de sexe et nos jeunes sœurs simultanément dans huit relations amoureuses ? Mais elles n’hésitent pas à traiter leur collègue (les travailleuses de sexe) de tous les noms d’oiseau.
Pour moi, la crise de valeur est liée au manque d’exemples. Si l’éducateur n’est pas lui-même un exemple, l’éducation est d’office foulée au pied par ceux qui doivent la recevoir. Aujourd’hui, beaucoup éduquent, mais très peu sont des exemples.
BL: Je parlais, tout à l’heure, des valeurs de l’éthique comme la justice, la liberté, l’honnêteté, le respect…le respect de la vie privée de l’autre, parce qu’au-delà, votre pièce soulève aussi cette question sensible : tout porte à instiller dans l’esprit du lecteur que le sort de Clément est bien mérité, au regard de ses intrusions sournoises et malsaines dans la vie de son meilleur ami Juste. Doit-on comprendre par là, que le sens de l’amitié devient de plus en plus confus dans nos sociétés ?
EA: Oui, beaucoup pensent que l’amitié, c’est de régler tous les problèmes de l’autre à sa place, penser à sa place ce qui est bien pour lui, et parfois même planifier toute son existence. C’est le cas du personnage Clément qui a voulu mettre en sac la relation amoureuse de son ami Juste, parce qu’il prétendait connaître Monique plus que quiconque. A priori, l’on pourrait penser qu’il a commis un acte salutaire en mettant la puce à l’oreille à Juste. Puisque ses intentions étaient de privilégier les intérêts de son ami, et profiter pour continuer à se venger de Monique (à rappeler que ce n’était pas le premier mariage qu’il venait détruire). Mais à un moment donné, il faut savoir s’arrêter. Peut-être qu’il aurait pu être moins insistant dans ses avertissements  et il ne connaitrait point ce sort.
BL: Dans votre pièce, l’héroïne Monique est une prostituée, ou du moins, a été une prostituée avant de se convertir à une vie qu’elle croyait normale avec un premier homme, disons un ex-client, qu’elle quitte finalement pour un autre homme. Mais c’était sans compter sur la détermination morbide et inarrêtable de cet ex-client décidé à la priver du bonheur, quoiqu’elle fasse et où qu’elle aille.
EA: Je veux bien faire un parallèle avec la réalité : il est un fait qu’aujourd’hui, les travailleurs de sexe exercent de plus en plus dans un environnement risqué si bien qu’il y a un an, Amnesty International Bénin avait organisé deux ateliers de validation de deux avant-projets de lois sur la protection des droits des travailleurs ou des professionnels de sexe et la protection des personnes atteintes d’albinisme. BL: Pensez-vous, comme AIB, que les professionnels de sexe ne doivent pas être marginalisés ? Et qu’il faudrait des conditions préalables à l’exercice du travail de sexe dans notre pays ?
EA: D’abord, je suis contre toutes les formes de marginalisation. A ce titre, vous comprenez que je ne peux soutenir que l’on stigmatise ou discrimine qui que ce soit. Mais alors, si le mal existe, c’est parce que les gens ne se lassent de le commettre. Aussi, les professionnels du sexe n’exercent leur art que lorsqu’il y a des demandes, des besoins à combler, des envies à satisfaire. Pourquoi donc ne pas considérer que les solliciteurs sont également coupables ? Je pense que même si les professionnels du sexe n’existaient pas de manière officielle, le mal va demeurer sous sa forme la plus hypocrite et invisible. Et c’est toujours plus difficile de combattre l’invisible.
Donc, je ne fais pas la part belle à la prostitution, mais je pense que tout comme nous ne faisons pas de procès aux malades mentaux, nous ne devrions pas non plus condamner les personnes identifiées comme ayant des pathologies comportementales ou des vices sociétaux. Ce sont aussi des malades (prenez doucement le mot) qu’il faut ramener à la raison par l’éducation, l’attention, l’amour et la formation.


BL: Sinon, croyez-vous qu’il devrait avoir des dispositions pénales et finales pour protéger le travail de sexe, et pourquoi pas, créer un parcours de sortie de la prostitution pour ces personnes ?
EA: Un parcours de sortie, je vous prie. Je ne prêche pas la déchéance de la morale. Je propose une autre manière de percevoir le mal de la prostitution, ainsi qu’une thérapie à y appliquer pour que les pratiquants ne se sentent point discriminés ou jetés aux orties. Le rejet entraine la récidive.
BL: Je vous pose ces questions parce que votre pièce de théâtre m’apparaît éminemment éthique. Tout le monde se souvient de l’opération de ratissage actée il y a quelques mois, par le Préfet du Littoral qui a conduit à l’arrestation de plus de cinquante travailleuses de sexe pour atteinte aux bonnes mœurs , et la polémique qui s’en est suivie…avec bien entendu, l’annulation du décret par le ministre de tutelle et la libération sans condition de ces travailleuses de sexe arrêtées. Je ne sais si vous avez été juriste dans une autre vie mais je vous pose quand même la question : la prostitution est-elle un délit puni par la loi au Bénin ? Ou sommes-nous dans un vide juridique où l’exercice du travail est simplement menacé ?
EA: D’après mes maigres connaissances en droit, il n’y a aucune loi qui consacre le métier de la prostitution au Bénin, comme c’est le cas dans d’autres pays. C’est pourquoi, vous l’avez dit tout à l’heure, ceux qui pensent pouvoir obtenir gain de cause dans ce combat s’échinent pour rendre la profession légale. Dans ce sens, assez de pression a été mise sur le parlement et je ne pense pas que cela ait déjà eu un aboutissement. L’exercice est alors menacé puisqu’aucun texte ne le consacre.
BL: Quand on dit théâtre, on pense immédiatement à la représentation, à un spectacle vivant et total, à une vie sur les planches. Autrement dit, tout le monde tombe d’accord sur le fait que le théâtre est plus destiné à être vu, joué pour des spectateurs et qu’il n’est pas important voire nécessaire même qu’il existe d’abord sous sa forme livresque pour des lecteurs si bien qu’on remarque beaucoup de spectacles de théâtre qui n’existent pas sur le marché sous forme de livres pour des lecteurs. Je fais cette analyse, vu qu’avec votre théâtre, vous avez fait l’option d’exister aussi bien sur le marché du livre pour les lecteurs que sur les planches pour les spectateurs. Et très peu de dramaturges béninois et africains s’inscrivent dans la même veine que vous. Ma question : pensez-vous que les deux doivent aller de pair ? Ou il faut miser seulement et avant tout sur la représentation, le spectacle vivant au mépris d’une production existante pour les lecteurs ?
EA: Mon avis est que les deux sont d’abord inséparables. Pour représenter une pièce de théâtre sur scène, il faut irrémédiablement passer par l’écriture de la pièce. C’est ce qui permet aux acteurs de maîtriser chacun leur texte et les personnages à incarner. Ces écrits peuvent ne pas être travaillés, élaborés par une maison d’édition et publiés plus tard. Mais toujours est-il qu’ils existent et je pense qu’ils doivent être publiés sous forme de livre. Avec quelques nuances je peux vous dire que j’éprouve autant de plaisir à lire une pièce de théâtre chez moi qu’à la suivre en live, représentée par des acteurs. Il suffit qu’un travail esthétique soit fait pour susciter à travers les écrits toutes les émotions et sensations idoines.
Les deux doivent aller de pair parce qu’on ne peut pas toujours compter sur les acteurs pour nous faire rêver. Un texte bien écrit peut bénéficier d’une mauvaise représentation et vice-versa. Après ou avant représentation, il faut donner la possibilité au public de découvrir le texte pour combler les éventuelles insatisfactions liées soit à la lecture ou au spectacle. Pour moi, les deux donc se complètent.
BL: Quels sont vos écrivains préférés ? À l’étranger ? Puis au pays ? Profitez pour nous dire un mot sur la littérature de notre pays.
EA: Je pense que la littérature béninoise a de très beaux jours devant elle. Il n’y a qu’à observer l’ébullition des publications d’œuvre sur la toile pour s’en convaincre. Par rapport aux écrivains, je citerai pour rester chez nous Florent Couao-Zotti pour son style d’écriture exquis, Sedjro Houansou, Gaston Zossou, Habib Dakpogan, Constantin Amoussou, et les nouvelles plumes comme Gilles Gbeto qui font et feront davantage grandir notre littérature.
A l’étranger, il y a les noms comme Albert Camus, Sony Labou Tansi, Georges Brassens, Guy de Maupassant, Victor Hugo, pour ne citer que ceux-là.
BL: Votre mot de la fin.
EA: Bien merci, à Biscottes Littéraires, c’est un plaisir pour moi d’être sous le feu des projecteurs de cette page promotrice de la littérature. Je dis merci au directeur des Editions Savanes du continent ; monsieur Rodrigue Atchaoué, et à vous-même Grégoire Folly pour le grand intérêt que vous aviez porté à cet ouvrage jusqu’à sa publication.

Propos recueillis par Grégoire Folly pour Biscottes Littéraires

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