Bonjour les amis. Comme vous le savez, c’est toujours une joie pour nous de recevoir un personnage du monde littéraire sur le blog Biscottes Littéraires (BL). Aujourd’hui, nous irons à la découverte d’une écrivaine camerounaise. Elle s’appelle Christine Tsalla Elong (C.E). Elle est auteure de deux livres.
BL : Bonjour madame Christine. Une question brusque, pour commencer : « Qu’est-ce que cela signifie que d’être Camerounais ou Camerounaise ? »
C.E : Très belle question à laquelle je m’efforcerai de donner une réponse. Le camerounais est quelqu’un d’opiniâtre. Il serait insensé de le définir par un seul mot.
Le camerounais est cette personne qui adore les défis et n’a pas peur de l’échec. Il est tenace, persévérant. Je pense que c’est sa plus grande force. Être camerounais, c’est aussi avoir une grande foi, une immense fierté.
Être camerounais c’est avoir un sang froid à nul autre pareil, c’est la détermination, le courage. C’est oser, c’est aller toujours plus haut. C’est s’imposer à tous les niveaux. C’est être fair-play. C’est être très accueillant. C’est être prêt à mourir pour une cause que l’on croit juste. C’est refuser de baisser l’échine. Pour ne citer que ces quelques caractéristiques…
BL : Et quand on est précisément du village de Enamengal ?
C.E : Quand on est natif d’Enamengal, on est noble, altruiste. On est très famille. On n’a pas sa langue dans sa poche. À ceci, on peut ajouter tout ce que j’ai cité plus haut.
BL : Que pouvons-nous savoir de votre parcours académique ?
C.E : En quittant le Cameroun, j’ambitionnais de faire des études de médecine en Italie. Une fois sur le territoire, les choses ne se sont passées comme j’espérais. J’ai choisi sur un coup de tête de faire Économie, Banques, bourses et Assurance et j’ai poursuivi en faisant un master en Économie et direction des entreprises. Malheureusement, je n’ai jamais été convaincue encore moins satisfaite de ce choix. Au fond de moi, je traînais toujours une sorte de carence, une insatisfaction. Je ne me suis jamais vraiment retrouvée dans mon orientation.
BL : Etiez-vous depuis toujours convaincue qu’un jour vous serez écrivaine, quand on sait que vous avez fait des études en Banques, Bourses et Assurances ?
C.E : Enfant, j’étais assez taciturne. Je passais presque toujours inaperçue. À trois ans, j’ai connu l’éloignement d’avec ma famille. Une année après que je sois née, ma maman a eu des jumeaux. Pour lui faciliter la tâche ou pour la soulager, ma tante s’est proposé de m’emmener avec elle, dans sa ville de résidence. C’était le début de la fin pour moi. J’ai dû grandir très vite. Je pense que ce petit détour a été l’élément déclencheur de mon aventure d’écrivaine car ce que j’y ai vécu m’a marqué de façon indélébile. Ça a été rude. Mes tous premiers écrits se referaient à cette période de ma vie. Aujourd’hui encore, c’est toujours très vivant en moi.
BL : Des Chiffres aux Lettres, pourquoi une telle transition ?
C.E : Les chiffres sont mon premier grand amour. Je me sens bien au milieu des chiffres. Les chiffres sont comme mon compagnon fidèle. Les lettres se sont imposées à moi. Si j’avais eu la certitude un seul instant que j’allais devenir écrivaine, je pense que j’allais choisir de m’orienter différemment. J’aurais étudié la philosophie ou l’histoire à l’université. Les lettres, je les découvre tous les jours et tous les jours je suis sous leur charme. Bien entendu, pour la littérature comme pour toute autre discipline, il faut travailler pour exceller, pour être meilleur.
Par où commencer ?
À un moment où tout ce que je faisais me semblait terne, sans aucune satisfaction, comme un enfant qui essaie des notes musicales sur un piano, j’ai ramassé mon stylo pour dessiner de belles histoires. J’avais enfin trouvé ce que je voulais faire : Écrire.
BL : Dans une interview, vous disiez ceci : « Le livre est mon plus beau trésor. Lire, pour moi, c’est respirer. Je ne vois pas comment j’aurais pu survivre si le livre n’existait pas ». Que vous inspirent ces phrases, avec le recul du temps ?
C.E : Le livre exerce un pouvoir magique sur moi. Prenez tout mais laissez-moi les livres. Avant de sortir de chez moi, la première chose que je ramasse avant mon portefeuille, c’est le livre. Je ne m’en sépare presque jamais. Pareil, sous mon oreiller, j’ai toujours au moins un livre qui traîne. J’aime avoir le livre à portée de main, toujours. C’est une sorte d’obsession, une belle obsession. Un rituel peut-être. (Rire)
BL : Votre premier livre, « Piégée par mon sang », est publié en autoédition. N’avez-vous pas eu peur en vous lançant dans l’autoédition, surtout qu’il s’agissait de votre premier livre ?
C.E : Avant de me lancer dans l’auto-edition, j’ai pris le temps de bien réfléchir, de mener ma petite enquête sur les maisons d’édition traditionnelles. J’ai lu des avis pas du tout encourageants. Je suis arrivée à la conclusion que pour me faire éditer, il fallait absolument que je le sois par une maison d’édition qui m’édite à compte éditeur. Ce qui ne s’est pas révélé être une tâche facile. Je devais envoyer par poste le manuscrit, recto uniquement. C’était volumineux, lourd et par conséquent plus cher. Ce que je trouvais curieux et exigeant. J’ai tout de même envoyé mon manuscrit à trois maisons d’édition qui ne l’ont, j’en suis sûre, jamais lu. Je ne sais même pas si elles l’ont reçu. Je me suis très vite découragée.
Dans le même temps, j’ai envoyé mon manuscrit à deux ou trois maisons d’édition à compte auteur. Celles-ci m’ont tout de suite répondu positivement, proposition de contrat à l’appui. Au téléphone, le patron d’une maison d’édition avait poussé jusqu’à insister que je lui fasse un virement spontané de sept cent euro au risque de perdre ma priorité. Bizarre. J’ai flairé le piège. Payer autant d’argent sans avoir la possibilité de contrôler le travail qui serait fait? Non, cela ne me convenait pas. Il fallait trouver un autre moyen. Je me suis inscrite sur des sites anglo-saxons d’auteurs auto-edités. Tout ceci a eu le mérite de me booster. Je venais de trouver ce qu’il me fallait, la liberté.
BL : Comment le livre a-t-il vu le jour ? Veuillez-nous introduire dans les secrets du processus de ce livre, depuis ces premières lignes jusqu’à sa publication
C.E : Le processus n’est bien évidemment pas aussi simple que ça peut avoir l’air. Le livre, on ne l’écrit pas pour soi. On écrit pour le lecteur. Le lecteur, c’est l’inconnu, un inconnu qui peut souvent s’avérer très exigeant. Cet inconnu détient tous les pouvoirs. Soit il te propulse, soit il t’annihile. Pour avoir la chance de marquer les esprits, il y a un gros travail de fond qui doit être abattu. Un écrivain ne saurait s’auto-corriger, il importe qu’il fasse appel à des relecteurs sérieux et compétents. La partie sur la relecture est une étape cruciale. Il y va du sérieux et de la crédibilité de l’auteur.
BL : Qu’est-ce qui, à vos yeux, justifie le fait que certains se montrent automatiquement frileux dès qu’on évoque l’autoédition ?
C.E : N’est-ce, peut-être, pas le manque de curiosité ? Comment être frileux par rapport à quelque chose que l’on ne maîtrise pas ? C’est un peu comme un esclave qui, après l’abolition de l’esclavage, refuse de s’affranchir. Si d’autres portes s’ouvrent, pourquoi ne pas en profiter pour humer l’air de la liberté ? L’avantage dans la montée en puissance de l’auto-edition est que les maisons d’édition traditionnelles qui ont pignon sur rue commencent à perdre une part de leur marché. L’attention se déplace. Ils ne peuvent plus dicter les règles selon leur bon vouloir, la concurrence s’installe. Et une nouvelle saison de l’édition voit le jour. C’est aussi ça l’avantage avec les GAFA.
BL : « Piégée par mon sang » est un roman traversé de part en part par l’amour et la douleur. Nous sommes tentés de vous demander comment vous avez pu écrire tant de douleur quand on pense à la vie d’Angela. Comment écrit-on la douleur ?
C.E : La douleur, telle qu’elle a été décrite dans le roman « Piégée par mon sang » n’a pas été inventée. Ce serait comme avoir une imagination au goût fortement dramatique. Certaines douleurs doivent se raconter, tellement elles sont inimaginables. Au vu de ma personnalité, celle qui prône l’amour, il ne me serait jamais venu à l’esprit d’imaginer une histoire aussi rocambolesque et de la mettre par écrit. Il s’agit d’un vécu et c’est ce qui fait la particularité du récit.
BL : Mais comme on peut bien le remarquer, la douleur dans ce roman reste aussi intimement liée à la rude réalité de la drépanocytose. On ne finira jamais de parler de ce mal qui sévit sous nos cieux en Afrique. Quels sont les sentiments qui vous animent quand vous en voyez les affres dans votre livre ?
C.E : Malheureusement, malgré les quelques voix qui se lèvent, la Drépanocytose reste un gros tabou. Ceux qui en sont victimes et qui ont le courage d’en parler continuent de faire face à l’indifférence. Et pourtant, Dieu seul sait combien sont nombreux les porteurs qui s’ignorent et qui continueront de faire perpétuer la maladie.
BL : L’amour peut-il survivre à la drépanocytose, si tant est que l’amour vient à bout de tout ?
C.E : Vous me posez une question très intéressante. Et je répondrai en disant: Oui, l’amour peut survivre face à la drépanocytose. J’ai connu des couples qui, après avoir eu des enfants drépanocytaires, sont restées ensembles jusqu’à la fin de leurs jours. C’est donc oui. Mais, à une condition, il est primordial que les moyens suivent. Dans le cas de figure d’une famille qui vit déjà un quotidien précaire, c’est plus compliqué. La séparation va très vite arriver. Malheureusement, les femmes sont souvent celles qui sont condamnées à suivre ce chemin de croix, car plus proches des enfants. Les hommes raccrochent vite.
BL : Êtes-vous satisfaite de l’accueil réservé par le public à votre premier roman ?
C.E : Je suis très attentive en ce qui concerne mes lecteurs, leur retour après lecture. En général, mes romans sont toujours bien accueillis. Parfois, à l’annonce du prochain, je reçois déjà des pré-commandes. Ceux qui ont lu le premier ont hâte de découvrir le second et ainsi de suite.
BL : SI vous devriez réécrire « Piégée par mon sang » aujourd’hui, que modifierez-vous ?
C.E : Je ne modifierai rien. En dehors des scènes et des personnages qu’il fallait adapter, j’ai tenu à rendre fidèlement le déroulé de l’histoire. Mon objectif était vraiment de rendre hommage, de contribuer, à ma façon, à ce combat. Plusieurs personnes m’ont suggéré d’écrire la suite, une suite qui donnerait espoir. Je ne suis pas contre cette idée. Je leur réponds en disant: « Tant qu’il y a la vie, il y a espoir« . Le roman peut prendre une tournure positive mais soyons optimiste pour cette maman qui, avec une bravoure et un courage extraordinaire, continue de porter sa croix.
BL : Vous avez publié en 2022 un second roman : « Mexico », en souvenir de votre voyage au Mexique. Qu’est-ce qui, dans ce pays, vous a inspiré ce livre ?
C.E : Je ne le dirais pas ainsi. Je ne pense pas avoir publié un Mexico en souvenir du Mexique. En général, il y a des endroits qui nous parlent plus que d’autres. Le Mexique est un pays qui a toujours attiré ma curiosité. Si on s’en tenait à tout ce que débitent les medias mainstream, personne n’aurait le courage de s’y rendre. La première chose qui m’a frappée dès mon premier voyage, c’était le nombre de personnes qui y allaient pour les vacances. La question qui me revenait à l’esprit était de savoir si toutes ces personnes n’avaient pas peur de se retrouver dans un endroit pareil. Je croyais trouver une sorte de jungle avec des narcotrafiquants et des tueries à tout bout de champ. Ma surprise a été grande de découvrir un pays magnifique malgré ses contrastes. Cet écart entre l’idée que je me faisais et la réalité sur place m’a motivée dans ma démarche. J’ai trouvé un pays riche dans sa diversité et un peuple très chaleureux. J’ai décidé de transmettre cette chaleur à mes lecteurs.
BL : Mais n’est-ce pas aussi juste de conclure que « Mexico », c’est la drogue, le sexe, mais aussi l’immigration ?
C.E : C’est une lecture biaisée que de comprendre « Mexico » sous cet angle. « Mexico » c’est le voyage, c’est la rencontre, c’est la découverte, c’est l’amour, c’est ce pays chaleureux et ce peuple accueillant.
BL : Le contraste entre les deux romans est frappant. Si le premier finit sur une note de douleur et de déchirement, « Mexico » semble finir sur une note plutôt heureuse, vu la nouvelle vie de Aline. Qu’est-ce qui explique ce contraste ?
C.E : Comme je le disais plus haut, avec le roman « Piégée par mon sang« , j’ai relaté des faits qui se sont déroulés dans la réalité. Je n’ai donc pas choisi cette fin, je me suis contentée de la raconter telle que vécue. Par contre, dans le roman « Mexico » il n’est pas question d’un vécu particulier. Je me suis inspirée des traces d’une vie quelconque et j’ai dû imaginer une trame et une fin qui pouvait accrocher mon lecteur.
BL : « Mexico » est publié aussi en autoédition. Peut-on en déduire qu’entre Christine Elong et l’autoédition, c’est une histoire d’amour qui est partie pour durer ?
C.E : Pour être franche, après deux romans en autoédition, je peux dire que je me trouve bien. Le hic ou ce qui me désole, c’est au niveau des prix littéraires. Dans la majeure partie des cas, les conditions de participation vous conditionnent. L’une des conditions est d’être publié par une maison d’édition. Pour « Mexico« , j’avoue avoir voulu essayer avec une maison d’édition, ce que je tarde encore à faire, question de temps. Mais j’y pense.
BL : De « Piégée par mon sang » à « Mexico », quelle évolution avez-vous remarquée dans votre manière d’intéresser davantage le public à vos œuvres ?
C.E : J’ai pris quatre ans pour écrire mon premier roman. Vous comprenez que j’écrivais sans grande conviction. Il m’arrivait de prendre des pauses tellement longues que j’en oubliais presque l’existence du tapuscrit. Malgré cela, je ne démordais pas, j’avais une grande volonté d’aller au bout. Le second s’est révélé beaucoup plus simple à écrire. Je pense que j’avais déjà pris la main et surtout j’avais pris goût. Ceux qui ont lu les deux ouvrages ressentent mieux que moi l’évolution. Pour moi, je pense que je suis restée constante.
BL : Nous sommes presque à la fin de cet entretien. Veuillez partager avec nous vos projets en matière de littérature et d’écriture.
C.E : Des projets sont en gestation. Une annonce de ce qui est en cours sera faite, j’espère, bientôt.
BL : Où et comment peut-on se procurer vos livres ?
Les livres sont disponibles sur Amazon et dans certaines librairies Nantaises.
BL : Nous vous remercions du fond du cœur, chère Christine Elong, pour ce bel échange. Votre mot de la fin à présent ?
C.E : C’est moi qui vous remercie.