Bonjour les amis. Nous poursuivons notre série d’interviews avec les éditeurs. Aujourd’hui, nous recevons pour vous Esckil AGBO, directeur des Editions Beninlivres. Bonne découverte…
BL : Bonjour monsieur Esckil Agbo. C’est un réel plaisir pour nous de vous recevoir sur notre blog. Vous êtes Béninois, fruit de l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo, professeur de français, amoureux des lettres. Que pouvons-nous savoir davantage sur vous pour être sûr de mieux vous connaître ?
EA : (Sourire) Bonjour. Le plaisir est partagé. Je voudrais d’abord vous remercier de cet entretien que vous m’offrez. Qu’est-ce qu’il faut savoir davantage sur ma petite personne ? Il faut dire qu’avant d’entrer à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Porto-Novo, je pratiquais déjà le métier de journaliste. Je bouclais un peu plus de trente(30) mois d’exercice du journalisme dans l’équipe régionale Zou/Collines de l’Agence Bénin Presse (ABP), quand par un concours national, je fis mon entrée dans ce haut lieu de formation de la capitale. J’ai travaillé dans la rédaction de plusieurs journaux au nombre desquels je cite L’Evénement Précis, La Tribune de la Capitale, et le journal spécialisé Educ’Action. J’ai également eu l’honneur de diriger pendant environ six ans en qualité de Directeur de Publication le premier web journal, spécialisé Arts et Cultures au Bénin, Dekartcom.net (www.dekartcom.net). Mon premier métier est donc le métier de Journaliste ; et d’ailleurs, je continue de l’exercer, mais dans les domaines de la littérature et du cinéma.
BL : Que doit-on comprendre lorsque vous vous définissez comme « Vendeur National de livres » ?
EA : (Sourire).Vendeur national de livre. Qu’est-ce qu’un vendeur fait ? Il vend. Et moi, je me vois en vendeur de livres – vendeur sous plusieurs casquettes dont l’édition, la promotion et la distribution/diffusion du livre. En réalité, c’est un nom que je me suis donné, mais qui a un but précis : arriver à satisfaire tous ceux qui viennent à notre petite personne pour des besoins de livre. Entre 2009, où petitement j’ai commencé à publier mes chroniques littéraires dans les journaux L’Evénement Précis, Educ’Action et le web journal Dekartcom.net et 2019 où j’ai diminué la fréquence de publication, après avoir créé radio Beninlivres (le 1er juin 2018), j’étais devenu, selon mes lectures, une sorte de rondpoint pour les personnes qui ont des besoins en livres (qui pour acheter un livre sur lequel j’ai fait de chronique, qui pour me demander de l’orienter vers une maison d’édition sérieuse, qui pour solliciter mes services de chroniqueur). Le nom de Vendeur national de livre est parti de là, j’ai créé une page facebook et voilà…
BL : De l’Ecole Normale de Porto-Novo à Beninlivres, quel bilan faites-vous de votre parcours ?
EA : Parcours ! Je n’ose pas parler de parcours, parce que ce parcours est toujours en construction. Toutefois, pour répondre à votre question, je dirai tout simplement un bilan de sacerdoce, de sacrifice, de courage, de créativité, d’initiatives. Et surtout un bilan de fierté. C’est vrai que ce qui vit en moi pour le livre et la lecture, je ne l’ai pas encore téléchargé à 30%.
BL : Entre la foire du livre de septembre 2018 et la foire internationale du livre d’histoire et des patrimoines d’Afrique et Caraïbes, doit-on lire une rupture ou une continuité ?
EA : Il s’agit d’une continuité ; je dirai même qu’il s’agit d’une mutation, d’une transformation du contenant, sinon que le contenu n’a pas changé, la vision n’a pas changé ; il faut juste lire la programmation générale des Rencontres internationales du livre du Bénin (la biennale panafricaine du livre), le programme que nous avons exécuté les 27, 28 et 29 septembre 2019 au palais des sports de Cotonou pour comprendre qu’il y avait déjà l’ombre de la Foire internationale du livre d’histoire et des patrimoines d’Afrique et des Caraïbes. La programmation était à plus de 80% composée de questions d’histoire et des patrimoines d’Afrique et des Caraïbes. Et pour une première édition, nous avions accueilli onze délégations. Je suis passionné des sujets d’histoire et de patrimoines d’Afrique. De 2017 à 2019, j’ai créé et animé une émission spéciale intitulée Vendredi des Patrimoines et du Tourisme. Je réalisais des dossiers, des enquêtes de journaliste sur les questions de patrimoines et de tourisme ; et cela était mis en ligne tous les vendredis, à partir de 21heures sur www.dekartcom.net. Il n’y a jamais eu de rupture. De la continuité… de la transformation.
BL : Quand on est observateur de la vie littéraire, on a certainement son mot à dire sur l’état de santé du secteur du livre au Bénin, comparé à ce qui se passe ailleurs.
EA : Le secteur du livre et de la lecture se porte bien. Il jouit d’une belle santé. Certes, on aurait souhaité qu’il se porte davantage en solide santé mais, son état actuel n’est ni criard ni criant. Le secteur bouge, il est continument en mouvement avec de nouvelles initiatives, de nouveaux créateurs, etc.
BL : « Les jeunes lisent de moins en moins ou ne lisent pas. », entend-on souvent. Est-ce aussi votre avis ?
EA : Non, les jeunes lisent, et ils lisent bien. Portez le livre vers eux, et vous ferez le constat. L’initiative Promolitt est une belle illustration de ce que je dis, il y en a d’autres comme le Championnat scolaire d’épellation de mots français, Les Mots de tête ; les cafés Beninlivres, le Festival Lire ensemble à Natitingou, Zou livre dans le département du Zou, etc. Les enfants lisent, les jeunes lisent. Ce sont les adultes qui ne lisent plus. Ce que nous devons savoir, chacun a le livre qu’il lui faut ; le couturier a son livre, le cuisinier, le coiffeur, le conducteur, le médecin, le maçon, chacun a le livre qu’il lui faut.
BL : Vous êtes aussi Éditeur. Quand on évoque « Beninlivres », que doit-on comprendre concrètement ?
EA : Beninlivres est aujourd’hui une maison d’édition, de distribution, de promotion et d’événementiels autour du livre et de la lecture. Beninlivres est également une bibliothèque ouverte, ne serait-ce que pour les écoliers et élèves du quartier où il a son siège. Mais au départ, c’était une plateforme de promotion du livre et de la lecture, avec à la clé, l’organisation de manifestations littéraires, et la web radio 100% radioBeninlivres.
BL : Pourquoi avez-vous décidé à devenir éditeur ?
EA : Je suis devenu éditeur par la force des choses, par la puissance de la passion, et la connexion avec la nature. « Les lettres africaines« , c’était le premier nom de cette maison d’édition. J’ai réuni certains amis, certains anciens camarades d’amphi, aussi passionnés de la lecture et du livre comme moi, dans un groupe WhatsApp, et je leur ai exposé l’initiative. J’avais proposé Les lettres africaines, pour que cela soit détaché de Beninlivres qui n’avait pas ce désir d’édition. Mon souhait était que Les Lettres africaines soient la propriété d’un groupe et non d’un individu. J’ai donc exposé tout cela dans le groupe. Mais curieusement, je n’avais vraiment pas eu un retour des membres. Il y avait cependant un des membres du groupe qui avait réagi, celui-ci voulait savoir comment cela va être géré, notamment, le financement ; en dehors de lui, je n’avais vraiment pas eu d’autres réactions. Et donc l’initiative était mort-née. J’ai essayé de relancer les discussions, mais en vain. J’ai rangé ce projet de maison d’édition pour me consacrer à la promotion de la lecture et la communication autour du livre. Bien plus tard, des mois après, deux amis ont commencé à me harceler presque tous les jours pour que je crée ma propre maison d’édition ; ils avaient comme argument commun, et d’ailleurs principal, le travail de promotion que je fais pour les auteurs et les autres maisons d’édition, et ce à zéro franc. Un matin de l’année 2020, j’ai reçu deux messages WhatsApp de ces deux amis qui ne se connaissaient pas à l’époque, et un autre de mon épouse qui est d’ailleurs ma première Conseillère. Le message de chacun d’eux me demandait de créer Les éditions Beninlivres. La décision est donc prise ; mais avant de commencer les démarches officielles pour la création, j’ai d’abord exposé l’initiative à mes chères sœurs et associées de Beninlivres KafuiGuivi et Belkis Espoir Hounkanrin qui m’ont donné leurs avis et leurs orientations. Les éditions Beninlivres sont créées ainsi en juin 2020 ; ce n’est pas la pensée d’une seule personne. Les deux amis dont je parlais tantôt sont aujourd’hui membres permanents du comité de lecture des éditions Beninlivres. Il s’agit de Rodrigue Gounda (Prof de français, auteur de Les rêves d’un lit malpropre et de Le Retour des Abeilles) et de Enock Guidjimè, avec qui je partage la rédaction au journal Educ’Action (bientôt, nous allons mettre sur le marché, Le Zizi du Ministre, son deuxième livre).
BL : On entend dire que le niveau baisse et que la littérature béninoise n’est plus aussi imposante et ne fait plus rêver comme autrefois (ce qui ne manque pas d’être pertinent quand on compare l’ancienne génération et la nôtre). Qu’est-ce qui explique selon vous cet écart qui se creuse de plus en plus entre les deux générations ?
EA : Les anciens étaient humbles, ce qui n’est pas le cas dans la nouvelle génération. L’écart est dû à l’égo des acteurs de la nouvelle génération. Je parle d’acteurs parce qu’il en a aussi bien dans le rang des auteurs que dans celui des éditeurs. On veut paraître écrivain ou éditeur, on ne veut pas l’être. Il y a plus d’écrivains vantards, d’éditeurs vantards que de vrais professionnels, aujourd’hui. Nous n’avons ni un problème de création ni un problème de créativité. Nous avons un problème d’égo qui met en pièces notre niveau qui devrait être solide et qualifié.
BL : L’une des remarques les plus récurrentes que l’on fait de nos jours aux livres édités sous nos cieux, c’est malheureusement l’aspect des livres que certaines maisons d’édition mettent sur le marché. Vous convenez avec nous qu’il existe sur le marché beaucoup de livres qui sont mal présentés, aussi bien dans la forme que dans le fond. Voici d’ailleurs ce qu’en dit Daté-Barnabé Akayi : « Quand ils ont la bonne volonté de prendre en charge entièrement le livre, lorsqu’ils (les éditeurs) l’envoient à l’imprimerie, le livre ne revient pas toujours en de bonne qualité : c’est comme si nos imprimeurs (ou leurs machines) ont une dent pourrie contre l’esthétique du produit physique qu’est le livre. Eh bien, le livre n’est pas, sur le marché, attirant ! »[1] Que pensez-vous, en tant qu’éditeur, de cette remarque ?
EA : Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait. Certes, la perfection n’est pas de ce monde. Mais nous avons le devoir d’approcher cette perfection. Les éditions Beninlivres ont eu la chance de publier l’un des grands noms de la littérature africaine, l’un des pères de la littérature béninoise, Olympe Bhêly-Quenum (La Danse du Grand Prêtre, Beninlivres 2022). Des lectures et corrections, jusqu’à l’impression, en passant par le montage, l’illustration, la conception de la couverture, tout a été fait par les soins de Beninlivres. Le patriarche, le jour où il a reçu les exemplaires auxquels il a droit, il m’a appelé au téléphone pour me féliciter de la qualité du travail. La qualité, notamment de l’impression, des travaux de finition, etc. Plus tard, il m’a envoyé un mail, pour me dire de nouveau sa grande satisfaction. Mieux, il a imprimé la couverture du roman en grand format, comme un tableau d’art, qu’il a placée dans son bureau. Les travaux d’édition de cet ouvrage nous ont pris environ quatorze mois. Tout ceci pour dire que dans le pays, il y a les compétences pour sortir de nos maisons d’édition des livres de qualités supérieures aussi bien dans le fond que dans la forme. Mais si nous nous précipitons, si nous prenons goût à mettre sur le marché un livre deux semaines après avoir enregistré son manuscrit, nous ne pouvons qu’avoir des ouvrages de piètre qualité.
BL : Toute la faute revient-elle vraiment à l’imprimeur ? Ce dernier est-il aussi comptable des montages affreux, des couvertures où l’on lit difficilement le titre du livre ou le nom de l’auteur et des tonnes de fautes que l’on rencontre dans certains livres ?
EA : Dans le processus éditorial, l’imprimeur est un agent de la maison d’édition. L’éditeur est le supérieur hiérarchique de l’imprimeur ; dans certains cas, il travaille en qualité de prestataire de service. L’éditeur est le garant de la qualité du livre aussi bien dans le fond que dans la forme. Aucune faute n’incombe à l’imprimeur. C’est la maison d’édition qui endosse toute la responsabilité.
BL : Nous allons rebondir sur la question: Entre l’auteur et l’éditeur, qui est vraiment comptable des fautes qui subsistent dans le livre publié étant attendu que le travail de l’auteur finit dès qu’il a soumis son manuscrit et qu’il l’a retravaillé sur instruction de l’éditeur qui, de concert avec son équipe, doit épurer le manuscrit et publier un texte propre?
EA : A partir de ma réponse précédente, vous l’auriez constaté. Lorsque la maison d’édition reçoit le manuscrit et décide de l’éditer/publier, elle devient responsable de tout. Toutefois, il faut reconnaitre que la responsabilité de l’auteur est également engagée. L’Auteur est aussi comptable des fautes qui subsistent dans le livre, car c’est lui qui signe le Bon à Tirer (BAT). Sans l’accord de l’auteur, sans la signature du BAT par l’auteur, aucune maison d’édition ne peut porter le livre à l’imprimerie. L’auteur n’est donc pas à dédouaner.
BL : Est-ce méchant de dire que le livre au Bénin est à l’image des maisons d’édition qui ne prennent pas toujours le temps d’accompagner l’écrivain afin qu’il réécrive son manuscrit, ou qui publient le manuscrit dès que l’auteur paie la facture à lui adressée par l’éditeur?
EA : (Sourire). J’ai l’impression que vous êtes auteur ; et vous avez été sans doute victime d’un travail d’édition fait à la va-vite. Et si c’est le cas, je ne marchanderai pas mes mots, vous ne devriez pas généraliser. Je pense que c’est bien méchant, je dirai très méchant de parler ainsi, du moins, de généraliser. Dans tous les corps de métier, il y a les très bons, les bons, les moins bons et les mauvais. Le secteur du livre ou de l’édition n’en est pas épargné. Mais, je suis foncièrement contre le fait qu’on s’appuie sur certains cas, pour généraliser. Je préfère que vous disiez « certains livres au Bénin » au lieu de « le livre au Bénin » ou encore « certaines maisons d’édition » au lieu de « à l’image des maisons d’édition ». Il y a quand même des maisons d’édition responsables dans ce pays. Je laisse les aînées comme Ruisseaux d’Afrique et je viens dans la nouvelle génération, les maisons d’éditions créées ces cinq dernières années. Je vous cite le cas de Légende éditions, basée à Porto-Novo. Tenir de tels propos ou faire de telles analyses, c’est salir les efforts de tout un pays. Je suis désolé de le dire, toutes les maisons d’édition n’attendent pas de factures des auteurs. Quand votre manuscrit est bon, charmant et porte une valeur sur laquelle on peut prendre de risque financier, les maisons vont se jeter là-dessus.
L’édition à compte d’auteur est une pratique dans le secteur au même titre que l’édition à compte d’éditeur. Et la maison d’édition gagne plus avec un ouvrage publié à compte d’éditeur. Le catalogue de Beninlivres actuel est à 75%, au moins, d’ouvrages publiés à compte d’éditeur. L’édition à compte d’auteur est une énorme perte pour les maisons d’éditions, en tout cas, pour celles qui se veulent professionnelles. Je vous cite quelques ouvrages de Beninlivres parus ou à paraître entre janvier 2023 et mars 2024 à comptes d’éditeur :
- Mes poupées noires, noires de Cécile Avougnlankou (Théâtre, lancé en janvier 2023)
- Le Retour des Abeilles de Rodrigues Gounda (Nouvelle, lancé en avril 2023)
- Le Retour des Ancêtres de Rose Akakpo (Théâtre, disponible en juillet 2023)
- Renaissance en terre rouge de Marie-Line Ansel (Essai, disponible en juillet 2023)
- Le Cantique du pays libre de Nicole Cage (Une adaptation libre du Cantiques des Cantiques, dit du Roi Salomon, disponible en Août 2023)
- Wologuêdê, la chaine incarcérée de Flavien Zountchémè (Théâtre, Août 2023)
- Ndanikou, le fils de la mort de Paul Bloh Sognon Dès (roman, disponible en Août 2023)
- Maman m’a dit de Belkis Espoir Hounkanrin (Poésie, disponible en décembre 2023).
- Il n’y a pas de départ sans retour de Micheline Adjovi (Essai – Recherche historique, décembre 2023)
- Nanguézé de Habib Dakpogan (Théâtre, janvier 2024)
- La Chaise est vide de Hermas Gbaguidi (Théâtre, disponible février 2024)
- Le Cri de mon hymen de Fifamè Fagbohoun (Roman, mars 2024 – ce roman s’inscrit dans le cadre de la célébration du mois de la femme, édition 2024).
Il y a des auteurs que nous avons reçus à Beninlivres, et à qui nous avons proposé de publications à compte d’éditeur, qui ont refusé catégoriquement. Il y a un qui nous imposait presque la publication à compte d’auteur. Nous lui avons dit d’aller ailleurs. Nous, à Beninlivres, nous avons déjà rejeté des publications, parce que dans notre rapport d’examen du manuscrit, nous avons proposé l’édition à compte d’éditeur, ce que l’auteur n’a pas accepté. Je vous le dis, il y a des écrivains qui sont hostiles à la publication à compte d’éditeur ; ils ne veulent pas entendre parler de ce type de publication, ils n’en ont jamais fait et quand, vous creusez bien, pour eux les consommateurs de leur livre existent déjà, le marché pour eux existe déjà, ils n’auraient pas vraiment à se gêner pour que le livre coule (c’est le cas des Universitaires, des responsables et ou membres d’ONG, etc.). Comprenez donc pourquoi, ils refusent le compte d’éditeur. Et c’est encore parmi ceux-ci, qu’on a ceux qui crient sur tous les toits que les maisons d’édition ne s’intéressent qu’à leur facture. Je peux vous citer de noms pour ce qui nous concerne ici au Bénin, je peux vous dire vous dire tel ou tel auteur ne fait jamais du compte d’éditeur et voici pourquoi.
BL : Quel est, selon vous, le maillon faible de la chaîne du livre chez nous?
EA : Il n’y a aucun maillon faible.
BL : Pensez-vous que les éditeurs béninois aident vraiment les auteurs en ce qui concerne la promotion et la visibilité ?
EA : Chaque maison d’édition a sa politique de promotion de ses œuvres. Je ne peux donc pas apporter de jugement. Ce que je sais, chez Beninlivres éditions, aucun livre publié, aucun auteur de notre catalogue ne reste dans l’anonymat. Nous avons des séries d’initiatives pour valoriser, promouvoir nos auteurs, les faire circuler et faire circuler leurs œuvres dans le pays et dans la sous-région. Nous en faisons également pour des ouvrages qui ne sont pas publiés chez Beninlivres. Pour nous, c’est la littérature béninoise, c’est le livre du Bénin. Et en matière de promotion du livre, de valorisation des auteurs béninois, je pourrais fièrement déclarer que Beninlivres est dans le Top 3 – si on parvenait à identifier deux autres maisons d’édition qui communiquent mieux que nous sur les auteurs et les ouvrages.
BL : Dans l’une de vos publications sur Facebook, vous disiez ceci « Quand des chefs d’établissements scolaires exigent qu’on leur donne d’abord de l’argent avant qu’ils ne permettent la tenue de café littéraire dans leur établissement, l’éditeur peut faire quoi ? ». Qu’est-ce qui justifie cette attitude que vous dénoncez?
EA : C’est le calendrier scolaire de notre pays, ce sont les programmes d’étude dans nos écoles qui n’accordent pratiquement aucune place à la culture, à la culture du livre, à la lecture-plaisir. Je ne parle pas des œuvres au programme dont l’étude est obligatoire dans les classes. D’ailleurs sur ce plan, il y a des choses à dire. C’est également la course effrénée derrière l’argent.
En 2016, nous avons organisé une tournée nationale pour la Romancière Sophie Adonon (Nous avions parcouru tous les douze départements, une vingtaine de communes pour quarante – quatre établissements, publics comme privés, et ce, en quinze jours). Lors des préparatifs, j’étais allé dans l’un des grands établissements de Porto-Novo, avec la proposition que ledit établissement accueille l’une des étapes de la ville. Après avoir expliqué l’initiative au Censeur, celui-ci, sans gêne, m’avait lancé à la figure : « qu’est-ce que j’y gagne, moi ? ». J’étais sorti de son bureau irrité. J’ai vécu cette même scène dans d’autres établissements du pays. Je pense que notre pays ne perd rien, les autorités ne perdent rien en facilitant l’organisation des rencontres littéraires, des concours littéraires dans les écoles, lycées et collèges.
BL : Qu’est-ce qu’un agent littéraire? En avons-nous au Bénin?
EA : Un agent littéraire est comme ce que le Manager est pour l’artiste-chanteur ; ou un agent pour un joueur. Il travaille pour l’épanouissement, surtout professionnel, de l’écrivain. Au Bénin, je n’en connais pas qui n’exercent que ça. Il y a de plus en plus de jeunes passionnés qui s’essaient à ce corps de la chaîne du livre. Moi, par exemple, je suis l’agent littéraire de l’écrivain Raouf Mama. Nous avons signé le contrat qui définit mon cahier de charges, mes obligations et celles de l’Auteur en 2022.
BL : Quels sont vos projets à court et moyen termes?
EA : Installer le studio de radio Beninlivres pour reprendre avec mon équipe nos émissions. Faire du concours Les Mots de tête, un championnat national d’épellation de mots français.
BL : Votre mot de la fin
EA : Que Dieu nous garde et que nos Ancêtres nous protègent.
[1] https://dekartcom.net/date-atavito-barnabe-akayi-enseignant-ecrivain-il-faut-quon-conditionne-le-public-beninois-a-la-lecture/
Félicitation pour cette très riche et humble échange. Je suis profondément touché par les réponses de monsieur AGBO, principalement, celle-là: « on veut paraître auteur, éditeur mais on ne veut pas l’être. » C’est vraiment fort! On a beaucoup d’exemples qui sautent aux yeux qui le confirment d’ailleurs. Je renforce les dires de monsieur AGBO » il nous faut mettre de côté l’égo, le chemin des livres devrait être emprunté humblement et patiemment. C’est un mélange de passion et de professionalisme. Et c’est comme ça que la magie s’opère.
Djanamy Clermon, passionnée par la lecture, l’écriture et l’oraliture. Écrivain en devenir.
Merci pour la contribution, cher Djanamy Clermon.
Waouh ! Quelle interview ! Bien rythmée et très dense. J’ai aimé le questionnaire ainsi que les réponses bien précises.
Heureux de vous lire, cher Esaïe corneille ANOUMON Gbɛkpoɖonukɔn.
Merci beaucoup pour cette interview très enrichissante. J’aurais aimé que le grand monde se rue pour en prendre connaissance. Ça pourrait prendre du temps, mais on y arrivera un jour.
Je vous remercie particulièrement pour la question de l’égo des générations et des acteurs de ce domaine. Il faut constamment revenir sur cette question lors des débats littéraires afin d’attirer l’attention de plus d’un.
Merci aux Biscottes Littéraires d’exister pour accompagner nos cafés littéraires 😂
Merci M. René pour votre intervention. Les choses vont changer dans ce pays, même si elles doivent prendre du temps.