« Les 700 aveugles de Bafia » de Mutt-Lon ou l’expression d’un devoir de mémoire

« Les 700 aveugles de Bafia » de Mutt-Lon ou l’expression d’un devoir de mémoire

Il est de ces récits qui ne s’expliquent pas, qui ne se racontent pas, mieux, qui ne se résument pas si l’on en croit aux réflexions profondes et puissantes qu’ils provoquent. Ce sont ces genres de récits qui se lisent en silence, qui se consomment à volonté et qui se digèrent sans modération dans un élan d’extase extrême. Telle est la catégorie du nouveau récit Les 700 aveugles de Bafia du récipiendaire du prix Ahmadou Kourouma 2014. Car quel passager-lecteur osera embarquer dans le navire romanesque Les 700 aveugles de Bafia et sortira indemne ? À cette question, nous sommes tentés de répondre personne. En effet, tous les paramètres et commodités de ce voyage littéraire au cœur de l’Afrique coloniale de l’entre-deux-guerres sont assurés par la tranchante et majestueuse plume du capitaine de bord Mutt-Lon.

De son talent de raconteur d’exception, Mutt-Lon invite son lectorat à remonter le temps par l’entremise de son nouvel opus Les 700 aveugles de Bafia écrit sur un air prestidigitateur enjolivé, et dont la substance interne dérange plus un. En réalité, tel un historien à la quête de la vérité, Mutt-Lon exhume un passé colonial douloureux, témoin oculaire du drame sanitaire orchestré par l’équipe médicale du docteur Jamot. Nous sommes en 1929, et la maladie du sommeil décime la population indigène, c’est alors que rentre sur scène le docteur Jamot, principal responsable de la mission de prophylaxie, et son équipe pour tenter d’éradiquer le fléau. Mais contre toute attente, le surdosage du traitement va provoquer de nombreux cas de cécité chez les indigènes. Lesquels vont déclencher une révolte contre tous les agents sanitaires de la mission. Damienne, jeune Marseillaise, médecin des troupes coloniales, déguisée en nonne sera chargée d’exfiltrer l’infirmière Edoa, princesse Ewondo, dont la présence sur les lieux de la révolte risque d’engendrer une guerre tribale. Pour réussir sa mission, Damienne va devoir faire fi de sa vie intime jonchée de multiples péripéties et user de stratagèmes afin de garantir sa propre survie en territoire hostile. Dès lors, le dénouement du récit tient le lecteur dans un suspens à couper le souffle. D’un style ample, souple, fluide et surtout érudite, le discours narratif de Mutt-Lon constitue un prétexte pour restaurer la vérité sur la grande bavure médicale des 700 aveugles de Bafia que la grande Histoire semble occulter. C’est donc là un vrai devoir de mémoire que Mutt-Lon nous invite à faire. Son texte s’inscrit dans cette « littérature qui nous sert à combattre toute forme d’oubli » puisqu’il est digne d’un grand et véritable roman historique. Au-delà de sa dimension historique, Les 700 aveugles de Bafia est un récit qui se veut contemporain si l’on en croit en sa thématique. Il incite et provoque la réflexion sur les aides sanitaires apportées aux pays africains par les pays occidentaux qui cachent, n’ayons pas peur de le dire, des intentions obscures pour la plupart. Ce livre constitue une allégorie qui remet sur la table, une fois encore, le débat polémique actuel qui tourne autour de l’efficacité du vaccin de la covid-19 dans le contexte sanitaire africain. Dans tous les cas, il faut le dire sans réserve aucune, que Les 700 aveugles de Bafia est une œuvre d’actualité très achevée issue de la matrice créatrice du talent d’écrivain de Mutt-Lon. N’hésitez donc pas chers lecteurs à ouvrir grandement ce livre, à le pénétrer et à le fouiller de fond en comble. Car votre jouissance en tant que lecteur en dépend.


MONBLE AMATSIA KADER

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