Après le décès son mari, Yaye Daro, consciente de ce que l’avenir de ses enfants lui incombe désormais, se résout à son petit commerce au bourg. Gagner petitement et modestement sa vie à l’abri de l’oisiveté de femme veuve, tel était son credo. Maïmouna qui grandit normalement à ses côtés, semble se lasser de vivre la misère que vit sa mère à Louga, village calme et paisible. Elle est belle, et en est consciente, belle comme une « djinné », belle comme le jour. Sa beauté laissait pantois les nombreux visiteurs qui se précipitaient dans le salon de Rihanna. Des missives amoureuses, elle en recevait « des dizaines par semaine, très longues, sincères et correctes, ou fausses et maladroites. » Capricieuse jusqu’à l’âme, elle décide de rejoindre sa sœur Rihanna à Dakar. Mise en garde par son marabout, Yaye Daro alerte sa sœur du danger qui plane sur la jeune à propos de sa conduite future. Mais Maïmouna, « L’Etoile de Dakar » mène une belle vie au cours des premières années avant qu’elle ne soit fixée sur son sort. Tout Dakar est subjugué par son charme. Maïmouna est plus qu’une star. Elle rêve d’une vie faite de luxe et de richesse Rihanna et son mari Bounana lui proposent d’épouser Galeye un richissime polygame nanti de femmes. Mais Maïmouna est obsédé par Doudou Diouf, un pauvre jeune homme aux manières occidentales, follement amoureux d’elle. Aidé de Yacine, elle tente le tout pour le tout pour assouvir ses désirs. Elle se livra à ce dernier comme le lui indiqua son instinct de femme et conformément à ses sentiments. Survient une grossesse. Dès que Bounama, le beau-frère de Maïmouna apprit la nouvelle, elle fut congédiée au village auprès de sa mère. Doudou Diouf l’abandonne à son sort. « Avec la fuite des jours son existence passée s’en allait, s’évanouissait, enveloppée dans un nuage aux contours imprécis. Il lui semblait maintenant que ce passé n’avait jamais été qu’un rêve. » p.250.
Ce classique de la littérature africaine écrit par Abdoulaye Sadji et paru aux Editions Présence Africaine en 1958, met en lumière la source de dangers potentiels que constitue la ville pour une villageoise naïve, sans aucune expérience. « Maïmouna » c’est la fresque d’une Afrique à deux visages : modernité et tradition, ville et campagne, deux mondes diamétralement opposés. Cela se remarque d’ailleurs à travers la structure binaire de l’œuvre où la première partie montre une vie paysanne calme et presque édénique, une vie faite de candeur et d’innocente où l’auteur présente Maïmouna comme comblée par la présence de sa poupée, jusqu’à ce qu’elle ne commence à prendre conscience de sa beauté. La deuxième partie nous la montre à Dakar chez sa sœur. Victime de la ville et de sa méchanceté, la fille de Yaye Daro revient à Louga, à la source, malade, défigurée, méconnaissable. Ses rêves et ses ambitions l’ont perdue et c’est encore cette terre de Louga qu’elle dédaignait il y a quelques années, qui l’accueille.Ici l’on peut percevoir aisé le lien que Abdoulaye Sadji établit entre Louga, Yaye Daro et l’Afrique. La terre natale ne rejette jamais ses fils, quelle que soit leur errance. L’Afrique demeurera toujours ce sein maternel à l’instar de Yaye Daro, disponible à accueillir le fruit de ses entrailles pour panser ses blessures et la réconcilier avec ses origines. Et ici qu’éclate l’étendue du génie de l’auteur qui clame haut et fort que l’avenir de l’Homme Noir est ici, en Afrique, dans l’acceptation et l’assomption de sa culture. Le contraste est flagrant dans le livre entre Louga et Dakar. La ville a rejeté Mïmouna après l’avoir détruite et brisée. L’Occcident et ses vues ne sont pas nécessairement faits pour l’Africain. Et ce dernier doit faire preuve de maturité et sérénité pour embrasser cette culture qui n’est pas sienne et qui peut lui être fatale malgré ses fastes. « Maïmouna » est un bon livre qui fait réfléchit et qui repose aujourd’hui le problème de l’immigration. Le bonheur se trouve-t-il nécessairement de l’autre côté? Ailleurs est-il toujours la dernière solution? Ne peut-on pas réaliser ses rêves et se réaliser soi-même en restant pourtant ici et en travaillant pour améliorer les conditions de vie qu’offre la terre natale?
Akotchayé Dassi