« Ouvrage : La plus secrète mémoire des hommes » Mohamed Mbougar Sarr.

« Ouvrage : La plus secrète mémoire des hommes » Mohamed Mbougar Sarr.

Ce roman fait une projection lumineuse de l’Afrique au cœur de ses cultures, sa vie, ses figures (le Malien Yambo Ouologuem, dont Le devoir de violence remporte le prix Renaudot, mais qui au grand dam de tous tombe en disgrâce bien après, Ken Bugul, l’écrivaine sénégalaise) ses paradigmes d’appréhension du monde, les pratiques magiques qui la définissent particulièrement, etc.

Ouvrage : La plus secrète mémoire des hommes

Auteur : Mohamed Mbougar Sarr

Genre littéraire : Roman

Editions : Philippe Rey / Jimsaan

Gustave Flaubert écrivit que « l’œuvre lue est anachronique ». Nonobstant, il existe des œuvres qui, lues à maints égards, objectent toute idée de vétusté et de désuétude. Le joyau que vénère notre attention s’affirme comme une œuvre à la virtuosité littéraire inouïe. Se préoccupant à cœur joie de la santé de la littérature, il s’ancre dans l’histoire et dans la mémoire, la mémoire de la nature, des hommes, de leur vie, de leurs amours; la mémoire des hommes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

La plus secrète mémoire des hommes ! L’auteur, un fils des Tropiques, germa de la culture sérère. Jeune sénégalais, Mohamed Mbougar Sarr dévoué à la littérature publia cette œuvre romanesque (420pages) coéditée par Philippe Rey (France) et Jimsaan (Sénégal) en 2021, l’année où fascinée par un style dont les effluves répandirent à poignée la fraîcheur d’une originalité rassurante, un génie méritoire et un art vivant, l’Académie Goncourt lui décerna le Graal des prix du monde littéraire.

Le texte s’élance sur les bitumes d’une rectification de la vulgarité paradigmatique de la littérature. A cet effet, Mbougar fait le choix de mettre sur orbite, sous la voûte de l’an 2018, un personnage novice en écriture en provenance du pays de Senghor. Son nom : Diégane Latyr Faye. Lire dans ce personnage le narrateur imbu de fascination pour l’un de ses pères écrivains sénégalais, T.C. Elimane, dont l’unique œuvre Le Labyrinthe de l’inhumain (parue en 1938) a provoqué dans son cœur un bouleversement profond, celui que génère toute vraie littérature. L’heureuse découverte de cet ouvrage fantasmatique jettera les dés d’une enquête implicitement axée sur la littérature, ses raisons d’être et la manière dont elle peut se permettre de hanter à sa guise tout homme et d’une façon singulière, chacun de ses amants. Explicitement, c’est une enquête focalisée sur T.C. Elimane, son existence, ce qui lui advint et ce qu’il est advenu de son unique livre.

La découverte hasardeuse se fit au Sénégal. L’aventure dont Diégane devint l’enquêteur, elle, commence, se poursuit puis s’intensifie à Nanterre, Paris, Amsterdam, Buenos Aires, etc., autant de villes ; alors que le jeune écrivain devenu un cosmopolite avoué aux trousses d’Elimane, jouissait d’une bourse estudiantine. La curiosité exquise de Diégane lui fournira la compagnie précieuse de Marème Siga D., une auteure sénégalaise. Mais bien plus, Siga D. partage le même sang que T.C. Elimane dont elle relate à son tour la vie telle que racontée à elle par Ousseynou Koumakh, son père, craintif de devoir la laisser imiter les pas d’Assane Koumakh et d’Elimane pour aller en Occident. Au su de tous, Elimane est et reste le fils d’Assane Koumakh, le frère jumeau de Ousseynou Koumakh, mais dont l’amour pour la France et le désintérêt pour les cultures traditionnelles l’amènent à s’engager pour la guerre en France. Elimane, le prétendu fils qu’il ne connut que de la grossesse de Mossane, la mère d’Elimane, réussit à obtenir bien des années plus tard une bourse d’études pour la France où il mit au monde Le Labyrinthe de l’inhumain.

Publié, Le Labyrinthe de l’inhumain fera surnommer son auteur le « Rimbaud nègre ». Il essuiera du fait de sa qualité assez trop convenable pour un écrivain nègre, une infinité d’affronts dont le chef d’accusation fut un plagiat à la démesure outrée. T.C. Elimane, le personnage à la vie engluée de mystère, mènera le jeune Diégane de l’Europe à l’Amérique du sud puis en Afrique, dans son propre village au Sénégal. Là, le voile tombe. L’enquête est condamnée au déclin. Diégane en apprend plus sur Elimane. L’assurance qu’il a vécue réellement le conforta tandis que savoir qu’il est mort à cent deux ans, un an et une semaine avant son arrivée, lui fit une sensation de désespoir. Elimane, doté du pouvoir de vision, lui laissa une lettre, à lui, « celui qui viendra ». Celle-ci est l’exorde d’un manuscrit autobiographique qui clôt l’interrogatoire posé au fondement de toute cette longue enquête.

Il est vrai qu’un « grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien ». Toutefois, ce rien est instantanément le tout qu’il contient. L’œuvre de Mbougar Sarr se constitue une aire ludique, où il est paradoxalement amusant de ne rien dire et par ce fait même de tout dire. Elle happe une panoplie de points d’intérêt qu’elle expose ostensiblement sur l’échiquier des grandes thématiques notamment la littérature, l’amour, la vie, la culture, le destin, la passion, la tradition, le colonialisme, la Shoah, etc., l’ensemble trempé dans une synergie tonale allant du lyrisme au comique, du réaliste à l’épidictique et à la satire. C’est à ce titre que l’œuvre se trouve nantie d’une richesse historique irrécusable dont le panorama pétri des tribulations politiques de la fin des années 1960 en Argentine, de la Première Guerre mondiale et du courage herculéen des tirailleurs sénégalais, du sort réservé aux Sémites en France la deuxième guerre mondiale courant, l’exode des nazis en Amérique, la révolution algérienne et bien d’autres événements. La promiscuité des personnages fait revivre au lecteur d’une manière nouvelle chacun de ces événements.

Ce roman fait une projection lumineuse de l’Afrique au cœur de ses cultures, sa vie, ses figures (le Malien Yambo Ouologuem, dont Le devoir de violence remporte le prix Renaudot, mais qui au grand dam de tous tombe en disgrâce bien après, Ken Bugul, l’écrivaine sénégalaise) ses paradigmes d’appréhension du monde, les pratiques magiques qui la définissent particulièrement, etc. Mais il prend aussi à tâche d’aller au-delà. Il scrute les relations entre l’Afrique francophone et la France sa tutrice en examinant la corde tissée des fils de vassalité qui officialisent l’union littéraire entre celle-ci et celle-là. Elle déborde de pages érotiques comme pour pointer de l’index que l’unique source de la littérature et de l’érotisme est le gouffre du désir. L’œuvre se sert sur un plateau alléchant dont le menu varié se trouve meublé au cœur même de la littérature à la fois d’histoire, de philosophie, de sociologie, etc.

Le roman possède une ossature impressionnante. Laquelle permet de voguer dans un univers concomitamment mixé d’intellectualité et de sensualité à haute dose, où une certaine quête d’identité indispensable pour toute existence se déclare, à cor et à cri, mêlant récits (schéma narratif et actanciel bien définis), cadre spatio-temporel, narrateur et personnages au cœur du labyrinthe d’une langue simple, des pages enjouées par l’amour pour le mot juste, le labyrinthe d’une plume plurilingue agréablement imbibée dans l’encrier de l’existence, celui d’un style polyphonique disséqué en journal intime, critiques littéraires, notes biographiques, texte épistolaire, etc. le tout délayé dans un humour, une liberté de ton et une sérénité inhérents à la littérature.

La plus secrète mémoire des hommes est tout simplement une déclaration d’amour de l’écrivain à sa bien-aimée Dame littérature.

Freddy Yénoukounmè Tiko

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