Placide KONAN : « Il n’y a jamais eu de commerce triangulaire »

Placide KONAN : « Il n’y a jamais eu de commerce triangulaire »

« Nous avons été longuement et lourdement trompés. On nous a enseigné une histoire qui ne nous raconte pas, ne nous connait pas. Nous lisons des livres qui ne nous lisent pas.  »

BL : Bonjour Monsieur Placide KONAN. C’est un plaisir de vous recevoir sur notre blog. Veuillez vous présenter aux lecteurs.

PK : Bonjour, le plaisir est partagé. Je suis Placide KONAN. Écrivain-Poète-Slameur ivoirien, membre de École des Poètes de Côte d’Ivoire.

BL : Comment est né votre amour pour la poésie et notamment pour le slam ?

PK : Pour la Poésie, difficile de donner les réelles motivations de mon amour pour elle. Je suis venu, comme ça, à la poésie sans savoir pourquoi. Un peu qu’on une femme à qui on est incapable d’expliquer l’amour qu’on ressent pour elle. Mais je puis dire que j’ai pu affûter cet amour, grâce à la lecture, à la rencontre d’autres poètes et grâce au slam.

BL : Pourquoi le slam justement ? Et pas une autre forme d’expression?

PK : C’est ce que je sais faire : Écrire de la poésie et slamer. Mais je crois que ce qui m’a beaucoup plus attiré au Slam, ce sont ses valeurs de sincérité, de partage et d’humanité. Un slameur normal est rempli de toutes ces valeurs. Aussi, faut-il ajouter son caractère à valoriser la poésie. Je ne trouve pas meilleur véhicule pour conduire la poésie vers ses lettres de noblesse.

BL : Vous êtes un écrivain engagé. Il n’y a qu’à voir votre look atypique pour s’en convaincre, sans parler de la poigne de vos textes. Qu’en dites-vous ?

PK : J’ai un devoir envers moi-même. Un devoir de vie et de liberté dans une société où on n’a plus le droit de vivre et d’être libre. J’écris pour vivre et pour être libre. C’est sans doute cette recherche de vie et liberté qui rend mes textes si engagés. Mais changer le monde ne m’intéresse pas. 

BL : Lauréat du Prix Horizon 2019, quels sentiments nourrissez-vous après un sacre aussi prestigieux ?

PK : Je me sens comme un gars qui a travaillé tout le mois et qui reçoit son salaire. Ce prix m’enseigne à quel point j’ai encore du boulot à faire.

BL :  »J’écris de profil », c’est le livre qui vous a valu ce titre, une poésie de 82 pages qui a séduit le jury. Parlez-nous de la genèse de ce livre.

PK :  »J’écris de Profil » est effectivement un texte, une phrase de 82 pages. Un poème-fleuve. Il coule. C’est le premier livre publié, mais c’est mon troisième manuscrit. Étant donné l’appréciation des lecteurs, je crois que, finalement, je n’ai pas fait le mauvais choix. Je l’ai écrit et réécrit pendant une année ou peut-être plus, partout, chez moi, dans la rue, dans des transports en commun. Je l’ai écrit partout.

BL : Qu’est-ce qui vous a motivé à l’écrire ?

PK : La recherche de la vérité.

BL : Pourquoi ce titre ?

PK : À la base, le titre était  »l’histoire ne parle plus, elle nous écoute. » Je l’aimais bien. Mais les correcteurs et mon éditeur l’ont trouvé nul. (Rires). Alors j’ai écrit de profil pour ne plus voir l’atrocité du monde, la bêtise, l’animalité. De profil, je vois mieux le peu de beauté du monde. Ce qui est bon pour un poète à la recherche du beau. 

BL :  »J’écris de profil », c’est un volcan de vérités qui giclent et fusent pour une réécriture de la vraie histoire du Noir. Voilà qui intrigue, puisqu’il ne s’agit pas ici d’un livre d’histoire et de géographie africaines mais bien d’une poésie. Expliquez-nous.

PK : Nous avons été longuement et lourdement trompés. On nous a enseigné une histoire qui ne nous raconte pas, ne nous connait pas. Nous lisons des livres qui ne nous lisent pas. L’histoire de l’Afrique telle que présentée est un crime, un outrage à l’intelligence de l’homme noir. Elle nous diabolise. Ne présente plus l’homme comme étant un loup pour l’homme mais l’homme noir comme un bâtard pour son prochain. Comment peut-on nous dire, par exemple, que nos parents ont vendu leurs enfants pour un miroir ? Comme si nous ne connaissions pas DIEU. Comme si nous ne connaissions pas la valeur de l’être humain. Comme si nous n’avions jamais vu notre gros nez, notre nezgritude dans le reflet de l’eau. Ils ont menti à l’humanité pour cacher l’atrocité qui a été faite. Il n’y a jamais eu de commerce triangulaire. Nos parents n’ont jamais vendu des hommes noirs aux blancs. Ou s’il y avait un commerce triangulaire, c’est que le triangle n’était pas équilatéral, ou qu’il lui manquait, un côté, certainement.

BL : Si l’histoire du Noir, la vraie, est à réécrire, ce que vous faites d’ailleurs en 82 pages, c’est que celle qu’on nous a toujours racontée dans les livres, celle que Cheikh Anta Diop s’est astreint à écrire, n’est pas tout à fait crédible, pas plus que ne l’est celle qu’ont écrite en plusieurs tomes les voyageurs , les missionnaires, les anciens colons. Est-ce bien cela ?

PK : Mon livre ne réécrit pas l’histoire de l’Afrique. Je n’ai pas encore cette capacité, ma foi. Il pose des questions, remet en cause les vérités existentielles. Et je me suis aussi basé, dans le livre, sur des études déjà faites notamment par Cheikh Anta Diop que je ne contredis pas, même si je n’adhère pas à toutes ses idées. Oui, tous ces voyageurs n’ont jamais voyagé et n’ont jamais rien trouvé. Magellan est un menteur, Christ’offre colombe ne peut pas m’offrir le CHRIST ni même ces missionnaires pédophilies. Ce sont justes de vieux pervers, à l’imagination fertile, qui ont compris comment s’inscrire, facilement, dans les pages de l’histoire. Mais ils se sont inscrits dans un livre qu’on va bientôt brûler.

BL : « J’écris de profil », vous écrivez « l’étrange destin de l’homme Noir,… le drame des étudiants noirs,…les misères du monde noir, et cet incroyable sentiment d’échec du monde noir ». Peine, douleur, souffrance,est-ce cela, pour vous,la vraie histoire du Noir ou juste celle terne et sombre qu’on écrit justement de l’homme Noir?

PK : Comme la France ne te parlera presque jamais de Napoléon couché à Waterloo, Binger ne te parlera jamais des fessées qu’il a reçues en Afrique. L’ombre si forte de la mort dans le cœur des colons a éteint la lumière de l’Afrique.

BL : Écrire la vraie histoire de l’homme Noir, s’insurger contre celle façonnée et racontée par des imposteurs où sont distillées de fausses vérités, beaucoup l’ont fait et tout comme vous continuent de le faire. A ceux-là on reproche de s’attarder sur le passé, de remuer le couteau dans les plaies mal cicatrisées et de se complaire dans une attitude de perpétuelle victimisation. Qu’y répondez-vous?

PK : Commencez déjà à ne plus enseigner les fausses histoires à l’école et il n’y aura plus de vraies histoires à raconter. Si la plaie est guérie, on utilisera le couteau pour autres choses. Et puis, faut vraiment être naïf pour penser que la colonisation est un fait passé.

BL : De quelles armes l’Afrique dispose-t-elle pour redresser l’échine face au monde aujourd’hui ?

PK : Sa culture, son humanité.

BL : Quel avis avez-vous des mouvements panafricanistes?

PK : Il y a trop de speudo-panafricanistes. Qui combattent  l’inutile. Qui oublient que nous sommes dans un monde, dans la mondialisation et que, ce n’est pas en cherchant à revenir à des pratiques ancestrales qu’on pourra atteindre la liberté et le développement. Même les pays occidentaux les plus modernes avaient des pratiques ancestrales. Nous devons apprendre à nous adapter dans cette lutte. Moi, personnellement, je ne suis pas panafricaniste.

BL : Quel regard portez-vous sur l’univers littéraire ivoirien contemporain?

PK : La littérature ivoirienne est en effervescence avec beaucoup de faiblesse mais l’avenir est prometteur. Les auteurs ivoiriens sont de plus en plus reconnus à l’échelle mondiale. Le second livre,  »Camarade Papa » d’Armand Gauz a reçu le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2019. Ça donne beaucoup d’espoir à la littérature ivoirienne contemporaine. 

BL : Le slam ivoirien a-t-il selon vous de beaux jours devant lui ?

PK : Mon nouveau hashtag c’est #LeSlamVaBien

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires.

PK : J’ai un projet d’écriture au Congo. Ce sera un poème. Et il me force à aller fouiller bien au fond des couilles de Léopold 2. Un autre bâtard que le monde applaudit. Je ne sais pas encore quand il sortira mais je compte finir l’écriture d’ici à la fin de l’année 2020.

BL : Votre portrait chinois à présent :

Un héros ou une héroïne : JÉSUS

-Un personnage historique : zokouo Gbeli

-Un auteur : Josué Guébo

-Un plat : foutou sauce graine

-Un animal : L’éléphant

-Un passe-temps : lecture, musique et écriture

-Une phobie : l’enfer

BL : Merci Placide Konan de vous être prêté à nos questions. Votre mot de la fin.

PK : Que DIEU bénisse la poésie !

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