Pourquoi lire et relire le roman Cacophonies des voix d’Ici ( mars, 2018) de Charles Gueboguo ?
Ce premier roman de Gueboguo, enseignant à la Washington international school, aux États-Unis, dépeint un tableau créatif ( système de personnages, le style) qui pose les décors, pour cerner les jeux et les enjeux des commotions politiques de l’heure visibles dans un pays imaginaire : Ici ( et par extension le Cameroun donc à travers notamment le problème dit anglophone), voire l’Afrique francophone.
En effet, dès les premières pages, tout juste avant le chapitre premier, l’auteur fait un état des lieux à la veille des soleils des indépendances. Un subtil brossage des faits historiques qui fait allusion aux pays se cherchant, en même temps qu’ils cherchaient leurs voies/voix, s’inspirant de ce fait des courants idéologico-politiques comme le communisme et le socialisme. De facto une problématique, potentiellement celle qui aurait orienté d’une certaine manière l’écriture de Gueboguo, se met en érection: est-ce que ce sont ces courants idéologico-politiques là qui sont ce qu’il appelle l’esprit du Rêve, ou le Rêve personnifié ici n’est rien d’autre que le désir de liberté, de trouver sa voie loin de ces premières Cacophonies (ou balbutiements politiques dans la construction des états avant les indépendances. On pensera aussi aux mouvements panafricanistes portés par Nkrumah, entre autres)? Soit!
Précisons que les Cacophonies, ici, sont les voix qui se mêlent et se démêlent en offrant l’air de rien les clés susceptibles d’élucider le climat socio-politique du pays dans un espace de temps très précis (1982-2015). Tout semble séquentiel, au fur et à mesure que se précisent la description des gabegies d’un système politique et d’un environnement socio-logique qui devient de plus en plus délétère.
Il ne s’agit pas seulement d’égrener, monotone, les symptômes de la décadence du pays Ici. Il est plutôt question chez Gueboguo de poursuivre l’état des lieux et l’explicitation du contexte post-années 60 que Kourouma d’abord, puis Mongo Beti ont commencé (Main basse sur le Cameroun: autopsie d’une décolonisation, 1972 pour le second. Les soleils des indépendances, 1970, pour le premier, auquel on peut ajouter : En attendant le vote des bêtes sauvages, 1998 ). Et c’est cette même logique qu’éventuellement, Patrice Nganang prolonge dans la Révolte Anglophone ( publié en 2018).
La structure tournante du roman, c’est-à-dire une forme d’écriture circulaire qui s’auto-explique à mesure que l’on progresse dans la découverte de l’intrigue, qui la caractérise, lui donne la forme d’une constante pouvant servir de matériau d’analyse dans le champ de plusieurs domaines. Entre autres, l’anthropologie, la socio-semiotique, la critique littéraire, la création littéraire, la sociologie politique, l’ethno-linguistique et le théâtre.
Cacophonies des voix d’Ici… Ou quand l’aventure romanesque se donne pour mission de combler un vide politique de profonde auto-évaluation, pourrait-on dire. Et si l’on pense parfois que la littérature ne sert à rien, elle devient, Ici, la preuve théorique, sous l’encre de ce sociologue et comparatiste qu’est Gueboguo, qu’elle peut servir à faire émerger un débat fort, par le foisonnement des problématiques protéiformes: la crise dite anglophone, l’alternance au pouvoir, la question du retour, la transgression sexuelle, la rencontre de l’écriture et de la musique et la quête identitaire. C’est donc un texte-choc qui pose les paradigmes d’une « nouvelle écriture littéraire » à la Sylvie Kandé lorsqu’elle parle de ce roman!
Nkul Beti, l’esprit rude.