L’enfant courut ouvrir le portail sous le regard éberlué du vieil homme. Nico était de retour. Il avait, attaché à sa moto, des oies.

– Alors ma chérie, voici d’autres oies à apprêter pour la fête. Les invités seront là d’un moment à un autre. Xubi-lanmabi voyait ses espoirs s’effondrer, et l’idée de perdre pour de bon son canard lui arracha deux reniflements. La femme baragouina quelques mots à l’oreille de son mari. Ce dernier gratifia le chercheur de canard d’un large sourire. Il s’enquit des raisons de sa visite. Nico pouvait converser avec Xubi-lanmabi en langue Mahi. Ce dernier s’arracha l’un des rares cheveux que la calvitie lui a laissés en signe de compassion, puis demanda à Nico si un canard ne s’était mêlé par hasard à leurs volailles.

– Désolé, Monsieur, mais nous n’aimons pas les canards, nous n’en élevons même pas. Donc, il est hors de question que nous en ayons dans notre basse cour.

Cela dit, il lui tourna dos. Il fit une chiquenaude. L’enfant réapparut, libéra le chien et ouvrit le portail. Le chien se mit à aboyer de plus belle. Xubi-lanmabi marcha à reculons, le cœur gros. Il cogna une brique et tomba sur sa petite fesse. Il n’eut pas le temps de s’apitoyer sur son sort, le chien était à quelques mètres de lui. Il se leva prestement, et de sa démarche brinquebalante, se sauva. Le cerveau de Xubi-lanmabi était devenu un brasier. Arrivé chez lui, il rencontra les lèvres brillantes de sa femme et le sourire narquois qui en émanait. Elle lui demanda entre deux quintes de toux inventées pour la circonstance s’il avait trouvé le ravisseur de son canard. La colère de Xubi-lanmabi monta de deux degrés. Et pour toute réponse, il ôta une chaussure qu’il lança à sa femme. Celle-ci esquiva le coup, rangea sa langue et disciplina ses gestes. Au crépuscule, il se rendit chez son Bokonon. Il lui confia le sort de tous ceux qui auraient goûté à son canard, si éventuellement l’animal était volé.

-Tous?, dit le féticheur.

– Tous, mais, enfin, sauf les enfants.

– Parfait. Et les complices?

– Qu’ils subissent le même sort que les vrais coupables.

Le féticheur transmit à ses divinités les volontés de Xubi-lanmabi, et assura ce dernier de l’efficacité de leurs colères: « Qui ne craint pas la colère des dieux, est un fou. Les offenser, c’est un suicide, c’est se présenter comme candidat officiel à la mort. Tes volontés, Xubi-lanmabi seront exécutées. Vas en paix. »