Nous sommes devenus de très grands amis. Et trois années plus tard, nous réussîmes à notre bac. Je fis des études juridiques alors que Rachelle devint médecin. Nous formions une famille qui fut soutenue par nos parents respectifs. Notre vie était une des meilleures, nous ne manquions de rien. Mais quelques années plus tard, je perdis mon boulot, au point où plus personne voulut de moi. Je ne savais pas que je ne devais pas appliquer la rigueur de la loi, le mis en cause était un parent du Ministre de la Défense. Avec mes relations, je ne réussis néanmoins pas à trouver une issue à ma situation. Mais cela ne dura que le temps d’un éclair. J’étais descendu au cachot du chômage. Seule Rachelle nourrissait la famille. Elle se démenait pour que nous subvenions à nos besoins quotidiens. C’était une réalité que mon égo d’homme n’acceptait pas trop, ni ne digérait. Partout où je passais, personne ne voulait me prendre dans son cabinet, ni pour quelque autre métier d’ailleurs que ce soit. Durant plusieurs années, je vivais comme un chien sans croc. J’avais honte de moi-même. Je me morfondais. Je me maudissais. Je maudissais la terre. Mais ma femme ne cessait de me dire de croire en la Providence divine, et que tôt ou tard les choses s’arrangeraient. Pour lui faire plaisir, je hochai souvent de la tête en signe d’approbation, sachant bien que je n’y croyais point. J’aimais vraiment ma femme, mais je sentais que je la faisais souffrir et lui faisais de la peine.

Un jour, j’étais assis tranquillement dans notre fauteuil au salon, quand elle vint à la maison, beaucoup plus tôt que prévu. Ce qui d’ailleurs me surprit. Je me levai ers elle, l’embrassai et m’enquis de ses nouvelles. Elle me rassura, puis me remit une enveloppe et sans aucun commentaire, disparut comme une fusée. Je restais pensif un bon moment, puis pris mon courage à deux mains. J’étais certain qu’elle ne tarderait pas à demander le divorce ou à me laisser une lettre d’adieu. L’idée de perdre ma femme après mon boulot me dévasta. Tout dépité, je me rassis. Je pris l’enveloppe, la tournai et la retournai dans tous les sens. Je contemplai mon nom calligraphié sur l’enveloppe hermétiquement fermée et qui sentait le parfum que ma femme mettait ses jours de colère et de déception. Je voyais déjà un nouveau malheur frappait à ma porte. Je pensai à ce que serait désormais ma vie sans Rachelle, si elle arrivait à me quitter. D’autres idées tristes et flippantes me traversaient l’esprit. Je courus dans notre chambre à coucher. Sa valise était ouverte, ses habits rangés sur une natte. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je revins au salon tout en sueur. Je composai son numéro. Impossible de la joindre. Je courus à la cuisine. Un calme olympien m’y accueillit. Je me rassis au salon. Je repris l’enveloppe. Je la redéposai. Quelques instants après, je la repris de nouveau. Elle me tomba des mains. Avec beaucoup d’effort, je l’ouvris mais n’eus pas le courage de lire ce qu’elle contenait. Je pris un verre d’eau pour stabiliser mon rythme cardiaque afin de prévenir un infarctus. Je respirai profondément et sortis avec délicatesse et crainte le petit billet blanc traversé de mots rageusement griffonnés par une main nerveuse. C’est l’impression que me laissait la qualité de la calligraphie qui contrastait avec celle qui était sur l’enveloppe. Mes yeux tombèrent sur les mots que voici: « M. Décadjèvi, nous vous prions de venir nous voir au cabinet d’avocat Affognon, pour affaire vous concernant. » Je ne compris pas trop. Je cherchai ma femme pour avoir une explication. Je la rappelai. Toujours injoignable. Pris de panique, je bondis dans la rue, hélai le premier taxi. J’avoue que sur la voie, pour la première fois, je constatai que le chauffeur qui me conduisait faisait exprès de rouler lentement. J’étais nerveux, sans savoir pourquoi. Une fois dans les locaux, c’était seulement une confirmation. C’était donc vrai. Je restai immobile sur mon siège, devant le Chef du cabinet d’avocat Affognon. Avais-je pleuré? Je ne m’en souviens plus. Je savais seulement que mes yeux étaient brouillés et que j’avas reniflé comme un petit garçon après sa première fessée. J’étais sans voix, revisitant notre vie à deux, Rachelle et moi, ce que nous avons vécu, ce que nous n’avons pu vivre et surtout tout ce que nous aurions pu vivre si… Ah la femme! Ah, l’amour. C’est donc ainsi que cela se passe? Je ne l’avais jamais su. Je n’avais jamais imaginé un tel dénouement. Le Chef du cabinet d’avocat Affognon dodelinait de la tête et me décocha un sourire chaleureux en signe d’encouragement pour ma nouvelle vie. Nous échangeâmes une poignée de main et il me congédia. Il devait recevoir un autre client. En me levant je bénis le ciel pour la vie reçue. Ma vie changeait à présent de couleur et de visage. Mon dossier venait d’être agréé. Je pouvais me remettre à travailler, à exercer le métier que j’aimais. Oui, je venais de trouver du travail, et tout cela, grâce à ma femme. Je la bénis sur place, passai devant le Saint Sacrement à l’église Sainte Barbe où nous célébrâmes notre mariage, pour remercier le Seigneur. Une fois à la maison, je creusai un grand trou. Cela me prit tout l’après-midi. J’apprêtai le dîner, vu que ma femme devait rentrer tard. Après le repas, je pris une corde, sous le regard intrigué de Rachelle. Je me rendis auprès du trou. Je montai sur la chaise que j’y avais posée. Le trou était fait sous le manguier, derrière le poulailler. Ma femme était toute en larme. Du haut de la chaise, la corde autour du coup, je levai les mains vers le ciel. La lune avait une mine triste. Les étoiles s’étaient figées dans le firmament. Les nuages ne bougeaient plus. Ma femme se mit à genoux à me supplier. Je pris la corde que je jetai dans le trou. C’était pour moi, une manière d’enterrer ma misère. C’était tout ce que je voulais faire en creusant ce trou. En enterrant la corde, je renouais avec une nouvelle vie. Et cela je le devais à ma femme. Quelle ne fut pas sa joie et son émotion quand je lui expliquai le symbolisme de mon acte! Elle le trouva d’ailleurs très romantique et devant le trou, nous nous étreignîmes longuement avant d’y mettre le sable. Le lendemain, elle y planta une fleur. Je trouvai cela très poétique. J’aime encore Rachelle. C’est mon échelle, ma vie, mon étoile, mon bonheur. J’avais le cœur brisé, mais elle me le remit en forme avec sa bravoure, son amour. Puisque sans elle, sans sa présence, j’aurais rejoint la rue. C’est d’ailleurs elle qui m’obligea à déposer le dossier au cabinet d’avocat Affognon. Je ne voulais plus le faire en raison des multiples refus essuyés.

Notre vie reprit de plus belle, et moi je promis de l’aimer encore plus, aujourd’hui moins que demain. Celui qui a dit que les femmes sont mauvaises changera de version le jour où il verra tout ce que Rachelle a fait dans ma vie. En tout cas, elle et moi, on s’est fait une promesse: tous les matins, je lui déclamerai un petit poème, et elle me chantera une douce berceuse tous les soirs avant que nous ne nous envolions au royaume de …. Morphée.

 

Fin

Kouassi Claude OBOÉ