Chapitre IV

Hôpital régional de Lomé/Togo. Service de réanimation et des soins intensifs.

17 h 30.

Le vent du noroît soufflait tiède. La boule lumineuse disparaissait quasiment. Quelques rayons jaloux des hommes les épiaient du côté de la présidence de la République. En face, là où la nuit sortait de la terre, se dévoilait tel un nid d’oiseau, le stade de Kégué. Stade rénové. Stadium remaked by chineses. Vive la coopération !

KODJO se leva de son fauteuil et épia la baie vitrée. Que cherchait-il ? Il marqua les pas comme à son habitude. Comme encore aujourd’hui avant l’arrivée de l’assistante très particulière. Il remit ses lunettes et plaça sa main droite en visière en sondant le lointain. Un pas après l’autre. A sa gauche, le climatiseur Xnon, Made in China, et à sa droite, la grande arène des éperviers où planait royalement l’esprit d’un certain Emmanuel Adébayor Shéyi, s’étalait également. Le Remake by chineses. Peut-être ce soleil qui tirait sa révérence était aussi chinois. Possible, hein. Un pas après l’autre, il cherchait la réponse à l’énigme tout en sondant devant lui, dans le vert de manioc. Et soudain, son attention semblait être attirée par une ombre.

  • Eureka ! jubila-t-il. Je te tiens. Sale vieux !

Il défit les boutons de sa blouse, retroussa les manches de sa chemise grise et sortit du bureau. Il se dissimila sous l’escalier et réajusta ses lunettes. Consulta sa montre : 17 h 49.

« Je pense que l’heure est arrivée. Hier, je l’avais vu rentrer dans le souterrain de l’hôpital. Là-bas, étaient disposés tous les câblages du centre. Si cet inconnu se dissimilait là-bas, et s’il s’avère qu’il a quelque pouvoir, il pourrait être à l’origine du décès des patients de la salle 2 et du lit 4. Je dois le suivre jusqu’à la fin et l’attraper la main dans le sac. »

L’homme au vélo bleu, tout niais et mal fagoté, passa devant le médecin qui marqua un petit temps de pause puis sortit rapidement de sa cachette. Il le suivit. Le vieil homme traversa le centre tout en poussant son véhicule et prit la direction du parking et du souterrain.

17 h 55.

Un léger vent faisait circuler une odeur de maïs grillé sur le lieu. La fraicheur de la cour contrastait vaguement avec celle du Xnon chinois. Le boule couleur huile de palme était absente. Kodjo refit ses manches. Le petit vieux avançait. Le vélo glissait doucement sur le parquet du souterrain. Puis s’immobilisa. Le planteur de manioc décida de continuer à pieds. Il ajusta l’engin contre le mur et jeta un coup d’œil véloce derrière, ce qui faillit trouver Dr KODJO. Celui-ci s’éclipsa derrière un des gros poteaux de la construction. Gwetta ! Les murs étaient couverts d’un gribouillis difficilement déchiffrable. Tout azimut :

LOME LA BELLE

KOTO LUS EVO EGAL BEBE

ENFANT DE MILLE PERSONNES

Et avec une dose de panafricanisme :

AFRICA FIRST

STAND UP AFRICA! AFRICA FOREVER!

AFRIC’ART

Le médecin revint à lui, compta jusqu’à dix et ressortit. Il avança sous l’éclairage des néons qui seraient du Made in China aussi. Possible encore. Le vieil homme se retourna encore très brusquement. KODJO esquiva derechef. Ça s’annonce bien, se moqua-t-il dans sa tête. « Crois-tu en Dieu, docteur », lui demanda encore cette voix inconnue. Oh, c’est pas le moment, s’énerva le monsieur du corps médical formé à Kara.

« C’est comme tu veux », concéda l’autre voix qui disparut aussitôt. Et dans le silence du lieu, le téléphone de Dr KODJO sonna. « Oh purée ! » fit-il. Le vieil se retourna guidé par la sonnerie, regarda intensément le médecin et reprit son chemin. Le docteur se lança alors à sa suite :

  • Bonsoir monsieur.
  • Bonsoir monsieur, répondit le vieil homme.
  • Excusez le dérangement. Que faites-vous ici ?
  • Excusez le dérangement. Que faites-vous ici ? reprit encore l’homme qui venait des champs.
  • Pardon ?
  • Pardon ? répéta également l’autre.

Oh, c’est quoi cette histoire ? se demanda le médecin à lui-même. Il tenta toutefois de poursuivre ce qui semblait une discussion avec un miroir :

  • Pourquoi prenez-vous ce sale plaisir de me répéter ? fit KODJO, au bord de l’énervement.
  • Pourquoi prenez-vous ce sale plaisir de me répéter ? répliqua l’homme au vélo bleu.
  • Alors, comme tu veux. Je me présente. Dr KODJO. Je suis copté pour la riposte de la pandémie au Togo. Et vous ?

La réponse du vieux ne se fit pas attendre : « Alors, comme tu veux. Je me présente. Dr KODJO. Je suis copté pour la riposte de la pandémie au Togo. Et vous ? »

KODJO sourit et se rappela une belle astuce pour contrer celui qui nous envoie nos propres mots. D’un ton flatteur et matois, il cria au vieux qu’il prenait pour un loustic :

  • Monsieur, je suis bête.

La réplique est étonnante : « Monsieur, oui, tu es vraiment bête ».

Saperlipopette, l’insulta le docteur dans sa tête. La honte ! Le regard charbonneux du vieux semblait lui ajouter : va te faire foutre, petit morveux !

Il lui souhaita de sa voix embrumée et sans sourciller : Bonne nuit, docteur KODJO !

Vieux satyre, il me connait en plus par mon nom. Il est rusé comme un renard, continua la petite voix non identifiée dans l’esprit de KODJO.

Le docteur surqualifié se sentit humilié. « Non, le cultivateur n’est pas bête et mieux que ça, il connaissait ce jeu-là plus que moi ». Il la ferma pour cinq minutes comme quelqu’un. Le vieux continua son chemin au fond du souterrain où il tira de ce qui semblait un vaisselier, cartons et vieilles couvertures. Comme quoi, tout le monde ne dort pas dans des lits douillets. KODJO reprit, penaud, son chemin tout en repensant à la mort et à la peur de la mort qui planaient sur son centre. Il pensa au vieil homme au vélo bleu qui partageait ce putain de patelin avec lui. Après tout, qui est chez qui ? Il repensa aussi à Vanessa, au parfum goyave et Nivea, à son corps généreux et à la vie qui ruisselait le long de sa petite langue rouge.

20 h 30.

Il est l’heure de rentrer à la maison. Dr KODJO venait sortir sa voiture du parking quand une ombre retint encore son attention. Il défit sa ceinture de sécurité, sortit de la Lancia Hyundai nouveau modèle et se rapprocha de la tâche noire en question. « Monsieur ? Vous ? Vous encore ? Que faites-vous dans le noir ? ». L’ombre se détacha du poteau et avança vers le médecin. Ce dernier recula un instant puis s’arrêta. Il respira profondément, sembla crier mais se retint. Que va-t-il se passer ? Je suis sûr d’une chose, ce monsieur peut-être tout, mais pas un meurtrier. Je parie ma tête qu’il sait quelque chose de la grande énigme sous laquelle nous nous noyons tous. Le vieux planteur de manioc marqua trois pas en avant et lui remit un bout de papier avant de lui marmonner encore de sa voix voilée : Bonne nuit, docteur KODJO !

Et sur le papier, le médecin put lire : …

Kodjo AGBEMELE

Ecrivain togolais