Ali venait de se réveiller d’une sieste dont la prolongation a été volontaire. Il s’assit dans le lit, ses jambes sèches étendues. Il caressa sa tête et refit une découverte qui le replongea dans un dépit visiblement têtu. Il se rendit à l’évidence que le rêve souhaité ne s’était pas réalisé. Il vivait bien son cauchemar. Un cauchemar qui l’avait exempt du plaisir et surtout de l’honneur de goûter aux belles délices de la fête de Tabaski au sein de la grande famille. Une brûlure psychique flambait sa boîte à sentiments. Le feu de la colère lui donnait des picotements sur tout le corps. Il commençait à gratter et à frapper ses lopins de chair. N’en pouvant plus, il entra dans la salle de bain et se rinça. La serviette épongea les gouttelettes d’eau sur son corps qu’il traina devant la glace. Il revit l’état de sa tête et sourit, tout désemparé qu’étonné. Les souvenirs lui remontèrent à sa tête qu’il appréciait dans la glace :

« La veille de la fête du mouton, la Tabaski, il s’est rendu chez son coiffeur pour se faire beau car sa tignasse le rendait parfaitement vilain. Ali était une architecture corporelle qui se qualifiait par les extrêmes. Quand il se fait beau, il l’est complètement. Mais il se faisait voir bien vilain quand il se néglige un peu.

Ce jour-là, il avait choisi l’extrême de la beauté. Ali se sentait uniquement très à l’aise dans le lieu où il allait se faire beau, le salon de coiffure. “Dieu peut tout coiffure“, ce salon gagnait sa renommée pour la qualité du service et du cadre offerts par les coiffeurs. Ali était connu là pour ses blagues et son accent de nigérien. Les clients qu’il croisait lui attribuaient avec grand plaisir le pseudo de “Ali Baba“ et tout fier il complétait “et les 40 voleurs“. Par coïncidence ou comme les pseudonymes ne sont attribués au hasard, Ali avait un trait légèrement commun à l’acteur auquel on le comparait. Son œil gauche était poché par la nature depuis sa naissance et cet édifice de son corps lui valait le qualificatif de “un œil et demi“.

  • Bonzour coif-fer. Yéé zaujourd’hui la walaï moi je veux faire bien beau. Tu sais que demain c’est l’Aid-el-Kébir. Tu vas me faire bonne coiffure plus que d’habitude.
  • Assois-toi Ali Baba ! Tu parles comme nouveau client ! Toi t’es vieux vieux ici. Toi venu toujours dans mon siège là, est-ce que ma tondeuse t’a raté ?
  • Tu as comprends déjà et moi être très content de ton intellizence. Fais-moi bien et je te fais cadeau !
  • Hum Ali Baba…
  • Walaï mon ami ! Moi peux pas te flouter veille de Tabasky comme ça. C’est cuisse de mouton tu vas manger demain avec tes petits zapprentis là. Fais bien seulement.

Ali ne faisait pas ces genres de recommandation à son coiffeur qui connaissait déjà la forme de coiffure qu’il dessinait sur sa tête. L’entendre insister sur de tels détails en ce jour mettait une pression de défi à ce coiffeur qui voulait aussi mériter la cuisse de mouton. Ali, assis, se tournait dans le siège et passait ses doigts dans la touffe barbue qui avait poussé comme une fleur aquatique à son menton. Le miroir rectangulaire aux larges dimensions devant lui, l’aidait à mieux se contempler et à imaginer dans sa tête comment il serait si le coiffeur enlevait telle partie des cheveux sur sa tête. Le miroir fixé au mur derrière lui, renvoyait dans celui de devant, l’état de sa nuque difforme comme l’arrière de la poule qui bouge en tout temps. Un apprenti enveloppa Ali d’un pagne blanc aux senteurs du précédent client qui en était certainement couvert. Un autre brancha le fil de la tondeuse dans une prise et remit l’appareil à son patron.

  • Peigne ! demanda le patron.

Il se mit à peigner Ali qui avait ses yeux plongés dans le miroir. La tondeuse se mit à vrombir et le coiffeur enleva une partie de touffe sur le crâne du client. L’appareil se mit à craquer sur la tête de ce dernier qui sursauta légèrement :

  • Hé coif-fer ! C’est chaud ! Et ce bruit on dirait machine qui rend couteau bien tranchant là !
  • Excuse Ali. Ces petits-là sont des tarés. Il se dressa contre ses apprentis

Qui a laissé la tondeuse branchée tout ce temps ? Hein ?

Silence.

  • Ce n’est pas à vous que je parle ? Hein ? Jorge, ce n’est pas toi ? Viens ici ! Jorge reçut une lancée de main sur sa joue. Koffi, viens ici ! Une taloche bien sonnante fit trébucher sa tête rasée.
  • Doucement avec eux sef ! Toi t’as pas appris apprenti avant ? Doucement.
  • Oui Ali mais j’étais sérieux et très visionnaire. Je regardais bien mon patron.
  • Ok mais doucement. Ton intellizence est plus que leur cerveau.
  • Faux-peigne cria le patron pour continuer son job.

Jorge qui rafraichissait sa joue avec une main, saisit l’objet avec l’autre main et le remit à son patron. Celui-ci le lorgna. Apeuré, Jorge s’empressa de reculer pour que sa joue n’accueille plus la main du patron, une main qui se promène beaucoup.

La tondeuse fauchait les cheveux d’Ali qui noircissaient le pagne blanc. Sur ses cuisses, de touffes longitudinales s’éparpillaient sur le tissu. Ali n’aimait pas le silence qui faisait bavarder le bruit de la tondeuse.

  • Coif-fer et ta femme zolie là ?
  • Quelle femme Ali ?
  • La zoliezolie là. Elle est venue ici quand je suis venu faire coiffure de Papa Wemba là. Tu te rappelles ?
  • Anh oui, Bertille !
  • Voilà Béquille !
  • Hein ! Tu dis quoi ?
  • Ta femme Béquille là, oui c’est elle je demande !

Le coiffeur oublia la tondeuse sur la tête d’Ali et souleva sa tête pour lancer un rire qui a fait éclater l’humeur gaie des apprentis.

  • Aïe ! Coif-fer ! Aïe ! sursauta Ali une nouvelle fois en caressant un point de son crâne
  • Tu as quoi Ali ?
  • Tu m’as repassé la tête. Tu as laissé ce fer chaud sur ici. Il lui montra l’endroit avec un visage serré qui se voyait dans le miroir. Les apprentis rangèrent leur hilarité naissante au tréfonds de leur ventre.
  • Alcool !

Koffi prit un peu de coton qu’il imbiba d’un liquide blanc dont l’odeur fit réveiller Ali de ses douleurs. Il raisonna :

  • Quoi ? Alcool ? Sodabi sur ma tête qui brûle ? Zamais sur ma tête. ze suis musulman vrai vrai ! Ze ne prends zamaisSodabi et tu veux met ça sur ma tête ?
  • C’est alcool Ali. C’est pas Sodabi et c’est pas à boire.
  • Ze s’en fous ! Sodabi là, on appelle ça encore alcool. Ma tête est sacrée et c’est ça je prends pour prier Allah, Wallahi. Moi ze suis pas muslim n’importe qui hein. Ze suis vrai vrai avec Allah ; Ahlamdoulilah !
  • Ok j’ai compris Ali.

Le coiffeur ne cessait de rire sous carpe de l’appellation que donnait son client à Bertille. Il voulait encore plus de rires.

  • Ali, tu parlais de Bertille ou Béquille ?
  • C’est la même personne non ? Ou tu connais deux Béquille ? Yééé toi coif-fer ! Tu aimes trop femme quoi. Après tu vas dire que tu fais Jésus. Viens chez nous Muslim là, tu vas faire beaucoup beaucoup de chéries. Allah même va bénir ça.

Le coiffeur passait la tondeuse entre les pavillons d’Ali et sa tête. Ce dernier serrait les dents en signe de douleur causée par la brûlure de l’appareil. Il ne regardait plus trop dans le miroir puisque sa tête était maitrisée par les doigts du coiffeur qui passait et repassait la tondeuse sur les plus petits cheveux qui trainaient à se dessoucher du cuir chevelu. Ali profita de cet instant où sa colonne vertébrale était arquée pour manipuler son téléphone portable. Il prit ses aises et alluma un chant populaire d’une star nigérienne. Aux premières notes émises par labaffle de l’appareil, le coiffeur sursauta et faillit repasser une nouvelle fois la tête du client. Le volume était de trop :

  • Ali, ton portable crie beaucoup hein
  • Ca c’est rien coif-fer. Z’ai mis volume 2 seulement. Z’ai encore volume 3, 4, 5, à 7.
  • Hein c’est quelle marque même?
  • C’est sim golo y a dedans.
  • Non j’ai demandé marque de portable là.
  • Anh, toi connais pas marque que tout le monde utilise maintenant ?
  • Dis-moi Ali.
  • C’est marque qui n’a pas mots en franssè là. C’est écriture de chine y a dessus là. Regarde ! faut lire ; moi suis pas dans grosse écriture là. Il lui montra la marque. Le coiffeur réussit à lire :
  • Xian Sun.
  • Voilà ! Toi connais lecture. Pourquoi toi choisir coif-fer ? Hein ?
  • Ali c’est histoire taille longue. Faut laisser ça et dis-moi comment on va fêter Tabaski demain là.
  • Toi finir coiffure là d’abord.

Le patron de « Dieu peut tout coiffure » se remit au travail avec une assurance bien guindée devant ses apprentis. Il réclama une lame qu’il divisa en deux parts égales sur la longueur. Il se mit à tracer des formes au front de Ali. Ce dernier, sous l’effet du ventilateur transformé en brasseur au plafond et la douce musique de la tondeuse, se mit à somnoler. Son cou n’arrivait plus à maintenir sa tête. Il somnolait comme un poulet. Le coiffeur était obligé de lui tenir la tête pour le continuer son travail. Il reprit la tondeuse pour corriger les imperfections. La tête de Ali était comme teigneuse. De parties blanchâtres sèches se faisaient voir. On eut cru que de la bouillie de maïs s’était asséchée sur son cuir chevelu. Ali continuait à dormir. Ses légers ronflements  s’emmêlaient aux bruits de la tondeuse. Ali rêva :

« C’est la Tabaski ! Ali est bien habillé dans son extraordinaire couture qu’il ne s’offre que les jours spéciaux. C’est un boubou fait avec du basin nigérien, épais et plus que blanc, neigeux. Sa peau noire rivalisait de noirceur avec sa chaussure babouche en cuir noir. Le fameux chapeau aussi bien culturel que religieux, propre aux musulmans, n’a fait que tirer un trait bleu et noir sur le complet. Il se dirige vers la grande mosquée centrale avec un cortège de Bénin Taxis venus spécialement pour escorter la communauté musulmane de son quartier.Ali se sent fier parmi ses pairs parce que ses revenus ne lui permettent pas en temps normal de s’offrir cette qualité de couture. Mais il est convaincu que pour la Tabaski, il est prêt à diviser son économie par trois. »

Ali rêve toujours et se retrouve à la mosquée :

« Ali est bien respecté par les civilités festives de ses amis. Il est sur son beau jouret tout le monde le regarde autrement.  Son boubou blanc est remarquable et lui accorde plus d’assurance. Il tient à saluer tous les grands imams  de la mosquée  à la fin de la prière. Ils le saluent avec considération. Ali bombe le torse et retourne fièrement  dans le groupuscule de sa communauté. Ils doivent prendre le chemin du retour… »

Ali se réveilla brusquement par les tapotements de son coiffeur. Il revient dans l’atelier au bout de quelques secondes.

  • J’ai fini Ali !

Il embrassa le miroir de tous ses yeux. Les quatre autres sens s’y prêtèrent. Ses yeux virèrent au rouge. Il vit un cauchemar qui brisait ainsi son rêve d’il y a quelques coups de somnolence. Ali ne retint pas son étonnement :

  • Coif-fer ! Astaghfi-rou-llah ! Tu as blagué avec ma tête !

Le coiffeur se mit à rire croyant aux blagues de Ali. Il ne se rendit pas compte qu’il était déjà au sérieux :

  • Ali, tu as beaucoup dormi hein !

Il ne répondit rien. Il prit un temps de silence pour laisser sa colère mûrir et bien accroître la couleur rouge de ses yeux. Il paraît que les noirs ne rougissent pas mais Ali avait les nerfs de sa tête bien rouges, gonflés de sang. Il regarda dans la glace, il n’en croyait pas ses yeux. Aucun cheveu ne lui souriait. Il se garda de passer la main sur sa tête de peur qu’aucun cheveu ne lui chatouille la main. Le coiffeur était assis à observer son client, curieux de savoir là où le bât a blessé. Il sondait la tête d son client et commença à s’accuser.

  • Je veux mes seveux coif-fer !

Ali se lit à revendiquer ses cheveux

  • Recolle-moi mes seveux tout de suite ! Il était presqu’au bord des larmes. Enervé, il vociférait presque !
  • Comment toi grand coif-fer peut coiffer comme ça moi la veille Tabaski ? Recolle-moi mes seveux que tu as grillés. Tu as tout grillé hein ! regarde !

Le coiffeur jusque-là avait gardé un silence de coupable :

  • Ali, pardon ! Prochainement, je vais bien faire ! Ok ?
  • Recolle-moi mes seveux !
  • Pardon Ali !
  • Moi, mes seveux, on ne grille pas tout ! Il doit rester seveux pour 1 centimètre sur ma tête. Apporte règle là on va mesurer !
  • Ali, pardon
  • Recolle-moi mes seveux, je vais partir aillair. Comment moi fêter Tabaski avec tête grillée, sans seveux ! Hein ? Recolle-moi mes seveux.

Tandis qu’il revendiquait ses cheveux, un nouveau client entra dans la salle. Les apprentis l’accueillirent avec empressement. Le sous-patron salua :

  • Bonne arrivée tonton au salon de coiffure Dieu peut tout!

Bill F. YOCLOUNON

 

    • Haha ! 😂😂😂
      Je ne sais plus quelle tête m’a inspiré à écrire Ali 😂😂😂

  1. J’ai beaucoup aimé,les mots pour decrire l’ imagination etaient au RDV, vraiment cool, Merci à vous.