Nous entamons en ce jour notre exode vers Pâques. Pendant quarante jours, nous allons nous préparer intensément à la rencontre du Ressuscité. Nous prendrons davantage conscience de nos fragilités, limites et déficiences. Nous ferons l’expérience de la proximité de Celui qui nous attend au dedans de nous. Prendre conscience de ses fragilités, implorer le secours divin, cela demande assez d’humilité et de vérité avec soi-même. On ne peut s’examiner devant le miroir de sa conscience que dans l’humilité. Nul ne peut prétendre s’épanouir dans l’amnésie totale volontaire de ce moule originel, ce foyer d’ignition où le Créateur prépare et cuit l’être que par pure bonté, il a daigné appeler à l’existence. Que l’homme soit, de ce fait, une dette envers Dieu et la nature, il ne peut s’en acquitter que dans la reconnaissance de son « être prélevé de terre« . Et on le sait, tant que l’homme ne se dessaisit pas de lui-même pour se reconnaitre et se recevoir de cet Ailleurs qui l’a pétri et modelé, il court le risque de son propre suicide. « La créature sans le Créateur s’évanouit», nous dit Vatcan II (GS 36).

Le temps de carême vient comme pour nous rappeler cette nécessité de nous attacher à ce qui demeure pour l’éternité: le Bien. Il fait aussi résonner au tréfonds de notre cœur que « tout est vanité ». Ce temps grave au fronton de nos consciences, en lettres de feu, ces paroles de Martin Luther KING: « Sans Dieu, tous nos efforts se réduisent en cendres et nos aurores en nuits profondes. Sans lui, la vie est un drame insensé où manquent les scènes décisives. »[1] Le carême nous fait voir l’hideuse vacuité et l’incongruité de nos puissances et pulsions appétitives qui aimantent parfois, malheureusement, notre vie vers les cimes dangereuses de la cupidité, de la volonté de puissance, de la boulimie du pouvoir et du mépris de l’autre. C’est ce qui fait dire à  Mariama BA que: « L’appétit de vivre, tue la dignité de vivre»[2]. Et la dignité de vivre, c’est de vivre en se remémorant constamment. A cet effet, Job nous éclaire : : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. » (Job 1, 21). La vie trouve son sens dans le dépouillement. Il faut accepter de perdre ses feuilles pour traverser la sécheresse et le grand hiver. C’est à ce prix que survient la renaissance, le refleurissement. Ce qui compte, c’est moins ce que la main amasse que le Bien que sème et répand le cœur. Que le parfum de nos bonnes actions embaume notre vie et que tout notre être soit au service de l’autre. Car dans le jeu de l’altérité qui fonde les vraies relations humaines et celles transversales, il y a un « Je » qui s’oublie pour l’élévation d’un « Tu » pour le bonheur de tous.

Ce n’est pas anodin que tout au début du Carême, nos oreilles retentissent de ces paroles qui tracent pour nous, en quelques secondes, la courbe de notre existence.  » Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris » (Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et que tu retourneras en poussière). Et comme on peut bien s’en convaincre, cette formule prononcée par le prêtre au moment de nous imposer les cendres nous renvoie à nos origines où culmine en même temps notre terme: la terre, la poussière, le limon, l’humus. Nous redevenons ce que nous sommes et la boucle est bouclée.

Quand se lèveront les tempêtes du vol et du détournement des deniers publics, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand la soif des biens de ce monde t’inspirera de vendre ton âme à Satan, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand il te viendra à l’esprit de trahir les espoirs du peuple, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand se réveilleront les démons de la cupidité et de l’avarice, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand viendra la tentation de l’éviction de Dieu de ton histoire, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand naîtra le désir d’entonner la cantilène de la mort de Dieu, Memento, homo, quia pulvis es.

Quand il te sera conseillé l’écrasement des autres par l’autorité ou le pouvoir que tu exerces, quelle que soit sa nature, Memento, homo, quia pulvis es.

Souviens-toi, homme, que tu es poussière, quand on te demandera d’éteindre la flamme de l’autre pour pouvoir briller.

La gloire passera. Le pouvoir passera. La puissance t’abandonnera. Tu finiras par quitter argent, richesses et femmes pour retourner en poussière. On n’a jamais enterré quelqu’un avec ou dans son compte en banque ou ses coffres-forts. Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et que tu retourneras en poussière.

Bon temps de carême à tous!

Destin Mahulolo

[1] Martin Luther KING, La force d’aimer,  Casterman, Paris, 1965, P.127

[2] Mariama BA, une si longue lettre, 1979

Comments are closed.