Depuis 1992, est célébrée le 07 Novembre de chaque année la « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN». L’occasion est ainsi donnée aux écrivains de discuter autour du livre africain, d’exposer leurs difficultés et de partager leurs certitudes d’espérance pour un lendemain meilleur des lettres africaines. L’initiative est belle en soi et très noble quand on sait qu’elle a un arrière-fond fédérateur. Ils sont conscients que de leur union dépendra leur force, s’ils veulent impacter le développement du Berceau de l’Humanité. Ainsi, du Caire au Cap, de Mogadiscio à Banjul en passant par Dakar, Abidjan, Accra, Brazzaville et Kinshasa, dans chaque pays africain, les hommes de lettres, en ce jour du 07 Novembre, auront à réfléchir sur l’avenir de la littérature sur le continent noir. Cet exercice, ils le font depuis 1992. Depuis plus de 25 ans, ils se réunissent pour ausculter les plaies de la littérature et penser à leur pansement. Et pourtant l’on pourrait se demander : « Au fond, qu’est-ce qui a fondamentalement changé? A quoi ça sert de se réunir chaque fois si à la fin, il faut retourner à la case départ? » Ces questions qui traduisent un certain pessimisme, expriment aussi cette volonté de voir les choses évoluer, de nous voir bousculer certaines pesanteurs faites de passéisme et de fixisme qui privilégient les zones et confort et abhorrent toute idée novatrice. Ces questions rendent en effet compte de cet ardent désir de voir l’écrivain africain repositionné à son poste de veilleur et d’éveilleur de conscience, de prophète et de témoin.

Mais est-ce pour autant vrai que rien ne bouge? Certes, une certaine impatience peut obstruer la vue sur ce qui se fait et ignorer que n’eussent été ses poils, l’on constatera clairement que le gorille transpire. Il faut être honnête et reconnaître que « quelque chose » se fait et que « les choses évoluent petitement », même s’il ne faut pas le mettre directement à l’actif de la  « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN», ni des organismes publics à charge de la question du livre et de la littérature.  A la vérité, ces dix dernières années, on a  vu l’explosion de belles initiatives multiples et multiformes en faveur de la littérature africaine. Que ce soit la multiplication des blogs littéraires, l’émergence de nouvelles maisons d’édition, des foires, des salons et des caravanes du livre, la naissance des librairies, des clubs de lecture et des bibliothèques, la création d’événements et de Prix littéraires, il est heureux de remarquer que la jeunesse entend jouer sa partition et occuper une place que sciemment ou non, certains organes ou institutions ont abandonnée. On pensera à la CENE LITTERAIRE, au Concours Miss Littérature de Carmen TOUDONOU, une première en Afrique, à l’initiative des Bibliothèques solidaires de Yann Colince, aux mini-bibliothèques de la Fondation ZINSOU, etc. La jeunesse, sensible à la question, sans plus attendre nécessairement un « Bon Samaritain » ou un « Simon de Cyrène », prend ses responsabilités et joue ainsi au sapeur-pompier en apportant son secours et son assistance à la promotion du livre en Afrique. De ce fait, implicitement et même sans s’en rendre compte, elle force la main aux instances qui devraient s’occuper de la question, si du moins elles le veulent.

On l’a souvent ressassé, la littérature n’est pas toujours la priorité des structures en charge de la culture. Et pourtant sont organisés çà-et-là, des ateliers de réflexion sur la littérature. Doit-on en conclure qu’il s’agit là d’une sainte farce, une sinécure, une supercherie? L’heure n’est pas au désespoir. En initiant en 1992 la  « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN», la PAWA (Panafrican Writers Association) comptait justement dynamiser le secteur du livre en Afrique en incitant sans relâche les pouvoirs publics à faire du livre un maillon essentiel dans le développement de l’Afrique. L’on comprend alors pourquoi, pour la célébration de cette 26 ème édition de la « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN», l’AES (Association des Ecrivains du Sénégal) a pensé réfléchir sur le thème : « Littérature, Démocratie et Pouvoir« . Voici ce qu’en dit Moumar Guèye, membre du Comité d’organisation  : « A chaque fois que nous nous réunissons, nous essayons d’intervenir dans la marche de notre pays. Une littérature contribue à éveiller les consciences, à alerter à chaque fois que cela est nécessaire parce que nous avons un rôle à jouer dans la démocratie de nos peuples car la démocratie, ce n’est pas l’anarchie». Il est clair que la Journée Internationale de l’Ecrivain Africain n’est pas une journée de trop. Mais une question demeure : « Quelle importance accorde-t-on à l’Ecrivain Africain, plus particulièrement, béninois »?

Nous n’allons pas évoquer ici Sony Labou Tansi, mort presque dans le dénuement. Nous n’évoquerons pas Yambo OUOLEGUEM. Nous nous refusons volontairement de citer cette chronique de Mandana Parsi, sur RFI : « Une jeune femme étant longtemps sortie avec un auteur m’a confié son désarroi. « Les écrivains restés au pays sont prolétarisés. Ils n’ont rien. Il vaut mieux sortir avec des footballeurs ou des hommes politiques. C’est un bon investissement… Mais vraiment les écrivains ne valent pas le coup. Et en plus ils sont compliqués. Ce sont des égocentriques. Ils ne parlent que d’eux et de leurs problèmes », estime cette ambitieuse Lagotienne. Elle ajoute : « Ce sont des pauvres types, condamnés à la misère, donc au malheur… Les écrivains, il les faut les éviter comme la peste ».[1]

Plus près de nous, dans l’interview qu’il nous a accordée, Augustin Y. TOSSOU affirmait que : « L’écrivain est un débiteur permanent qui a constamment à ses trousses éditeurs et imprimeurs». Cette déclaration pleine d’hyperbole, certes, est pourtant d’un réalisme patent. L’écrivain sous nos cieux est un vendeur ambulant, condamné à parcourir les rues et ruelles de nos villes et campagnes, les bras chargés de ses livres, prenant d’assaut écoles et collèges, quêtant la bonhomie du Directeur pour présenter ses articles et en vendre quelques-uns afin de s’assurer sa pitance. [2]

Pour que cette « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN» ne soit pas une célébration de plus, reposons la problématique de la place que nous accordons aux écrivains dans notre pays. Devrions-nous attendre qu’ils rejoignent le « Koutomé », l’Hadès, pour consacrer deux maigres secondes de silence en leur mémoire? Et si la « JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ÉCRIVAIN AFRICAIN» était saisie pour célébrer, pendant qu’ils sont encore vivants, tous ces hérauts, ces ambassadeurs de notre culture, ces  »catalyseurs »,  »inventeurs d’âme », ainsi que les désignait Aimé Césaire[3], eux qui se battent contre la fatigue et le sommeil pour que « nous n’arrivions pas les mains vides au rendez-vous de l’universel » comme le disait Léopold S. Senghor?[4] Ceci demande que nous mettions tous  »la main à la patte » pour honorer l’Écrivain chez nous.

 

Destin Mahulolo

 

[1] http://www.rfi.fr/hebdo/20180202-chronique-nigeria-pauvre-comme-ecrivain-litterature-pauvrete-livres-precaritehttp://www.rfi.fr/hebdo/20180202-chronique-nigeria-pauvre-comme-ecrivain-litterature-pauvrete-livres-precarite

[2] http://biscotteslitteraires.com/interview-accordee-a-biscottes-litteraires-labbe-augustin-y-tosou-ayt/

[3] Congrès des Écrivains et Artistes noirs, Rome 1959

[4] Congrès des Écrivains et Artistes noirs, Rome 1959