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… Vers quatre heures, je me suis réveillé et levé brusquement. J’ai fait un cauchemar, comme toujours. Inutile d’essayer de me rendormir, aujourd’hui je dois discrètement partir, comme prévu, pour la quête d’une vie meilleure, sans que mon père le sache. Je dois donc déserter ce lieu le plus tôt possible, sans plus attendre que le soleil se lève, je ne veux pas que l’on me voit. Je sais que mon père sera inquiet si, à son réveil, il ne me voit pas. Mais je suis sûr qu’il se remettra de mon absence, comme il s’est remis du décès de ma mère,… enfin je crois. Je me suis donc lavé et j’ai fait mes ablutions pour anticiper la prière de l’aube. Après celle-ci, j’ai emporté un modeste sac à l’intérieur duquel j’ai mis quelques affaires nécessaires pour le voyage et pour le séjour dans la Cité des lumières. J’ai enlevé mes chaussures, dans la quête d’une plus grande discrétion de mon départ. Et voilà c’est fait ; je suis dehors. A cette heure, tout est calme, il n’y a rien dans la rue, à part quelques soulards qui n’ont pas pu rejoindre leur demeure par excès de consommation d’alcool et qui ont fini par y dormir et les fous qui, eux, ont la rue comme lieu d’habitation. J’entends seulement les stridulations des cigales. J’ai marché des kilomètres pour arriver au bourg, il n’y pas de taxis. Et même s’il y en avait, je ne pourrais pas supporter les frais que tous ces chauffeurs qui, comme moi, font la quête d’une vie meilleure avec les quelques sous qu’ils encaissent, me feront payer.

Au bourg, il y a le garage où se trouvent les véhicules qui vont partout, même au paradis terrestre. Il fait six heures moins une vingtaine de minutes. Ils sont tous immobiles, ils n’ont pas encore commencé à rouler. J’aperçois un groupe de gars qui ressemblent plutôt à des badauds. Sans doute, ils sont des apprentis. Ils ne dorment jamais assez, c’est pourquoi ils ont toujours les yeux rouges dans la journée et tellement nerveux qu’ils n’hésitent aucunement de vous balancer des injures lorsqu’ils ont la simple impression que vous vous foutez de leur gueule et que vous ne voulez pas payer les frais du voyage. Ils sont là, entourant le thé, en train de papoter et de se dire comment s’est passée la journée avec eux en racontant tous les mécontentements causés par les clients et la manière dont ils ont réagi (souvent avec agressivité et brutalité).

L’un d’entre eux me fixe le regard et comme il fait noir, il ne peut savoir qui je suis. Ils commencent déjà à parler de moi tout en tirant des bouffées sur leur cigarette.
– C’est qui celui-là ? Il s’est perdu ou quoi ? Demande l’un d’entre eux.
– Je n’en ai aucune idée. Mais il avance vers nous, on le saura bientôt. Rétorque l’autre.
– Il a raison, je me dirige vers eux. Je les entends parfaitement. Je n’ai qu’un seul bras et ma bouche est déformée mais mes oreilles entendent très bien. Tout prêt d’eux, celui qui s’occupe du thé, voyant l’aspect extérieur de ma morphologie, ajoute avec un ouf de soulagement :
– Ah c’est un mendiant ! Le pauvre ! Je parie que c’est parce qu’il n’a pas de quoi se payer un petit déjeuner qu’il démarre très tôt sa mendicité.
Ils s’éclatent et rigolent ensemble tout en ignorant totalement que j’entends ce qu’ils disent. Avant même que je leur passe le salut, l’un ajoute encore avec une certaine malice:


– Ah mon gars, il fait trop tôt pour mendier, ce n’est pas le bon moment pour sortir des pièces sans rien recevoir en retour, à part des prières qui tarderont d’être exaucées.
– Assalamou Aleykoum (que la paix soit avec vous) ! Je ne suis pas un mendiant. Je voulais juste savoir à quelle heure les bus commencent à partir. Réponds-je avec un sourire forcé.
– Oh désolé de t’avoir traité de…

 

À SUIVRE

 

Serigne FILOR