Le téléphone sonna de nouveau:

– Oui ma fille, j’ai fait la fièvre comme je te disais. A votre départ, la pluie est tombée, ma toiture a cédé et j’ai été sérieusement arrosée. Je croyais que la mort allait me visiter aussitôt, tellement j’étais fatiguée. Mais comme je te le disais, euh, le chaton est très friand du poisson. Dédévi, ma bru vient de me dire qu’au moment où elle emballait vos colis pour le retour, elle avait pensé que le chaton faisait aussi parti des objets que vous deviez emporter. Elle m’avait suggéré de vous donner un chaton en signe de gratitude, car sans ton aide, je n’aurais pas acheté la chatte qui vient de mettre bas, et les souris auraient eu le dessus sur moi.

 

– oh, fit ma mère.

– Et donc, sans avoir mon avis, elle a mis le chaton dans votre malle arrière. Ce n’est que tard dans la nuit que je me suis rendu compte de sa disparition. Ma bru ayant rejoint son mari après votre départ, j’ai voulu en savoir davantage, en t’appelant. J’espère que tu prendras soin de ce chaton. Ramène-le-moi, s’il te plaît. Sans tarder. Son absence me dure. J’en meurs presque. Non pas que ma vie soit liée à la sienne, mais j’ai pitié de voir sa mère le chercher. Je vais très mal. Je dois raccrocher. Les convulsions ont repris. La nausée aussi. Et puis, il y ….

– allo, allo, quoi…?

– …..

Ewlizo se laissa tomber dans le fauteuil. Elle repensa aux efforts déployés la nuit à exorciser le démon.  Mes oreilles se mirent à bourdonner des cris de guerre de maman quand elle avait pris feu : « Jah Satan! Awovi, dehors! Ici n’est pas chez toi! Chez toi, c’est là-bas, dans le feu éternel! Ozooo, Omioon, Faya (fire, feu en anglais. Evidemment Dieu comprend toutes les langues, il saura décoder le langage spirituel de maman)! Awovi zomé, zohèhè! Satan, sors de notre corps, corps de notre sort ». Au nom de Jésus le Nazoréen, je te l’ordonne, dehors. »

 

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Quand je pense à toute cette débauche d’énergie, et que maman est incapable de soutenir une marche de quinze minutes, je réalise que la présence du démon peut métamorphoser des personnes. Elle disait pourtant souffrir d’hypoglycémie! Oh My God!!

Je revois maman subitement triste après les dernières explications de sa mère. Ewlizo était éteinte. Elle avait l’air abattu. Monsieur Koklossou lui redonnait courage, mais elle avait les yeux rivés sur le chaton agonisant, dans ce Kouhounou où la morosité tuait plus que le démon ne frappe. Je me demandais ce que je faisais encore là. J’enviai le sort du chaton qui convulsait et vomissait… Lui au moins connaissait sa mère. Moi je viens d’être mis au courant que je viens des entrailles qui n’ont jamais conçu. Je sors. Dehors, souffle un vent triste qui sifflote des airs lugubres. Ewlizo s’était enfin rendue compte que j’avais tout entendu. Elle me rejoignit au portail.

 

-Désolée, mon fils pour ce qui est arrivé. Tu demeures notre fils.

Je continuais de marcher. Que répondre? Elle marchait aussi à ma suite me suppliant. Je fis halte. Je repris ma marche. Les passants nous regardaient. Le soleil refusait de sourire. La nature a trop pleuré la nuit. Cela se comprend. Je me mis à toussoter comme le chaton, transi de froid. J’avais envie de crier, hurler, beugler, aboyer… J’avais envie de me doter d’ailes pour m’envoler, loin, très loin au désert, au royaume de la solitude.

Koklossou est resté à la maison, à réchauffer sûrement le pauvre chaton. J’espère que sa femme se résoudra à aller saluer sa mère et lui retourner son chaton. De toute façon, je sais désormais que je dois aller à la quête de mon être. Je sais que je ne suis plus le même depuis quelques instants. Aujourd’hui, le Père Tonnerre devra dire la messe sans moi, je ne servirai pas la messe. Les autres servants de messe sont là. Adieu les devoirs. Je ne comprends même pas pourquoi on doit aller à l’école un samedi, et pire, composer. Sous un des rares arbres de Kouhounou, je me suis assis, et je refuse de pleurer. Ewlizo me supplie de revenir à la maison. Je crois que c’est pour que je l’aide à prier pour la survie du chaton moribond, juste pour faire plaisir à sa mère. Je pense à Dadjè et à Hagbè. La vie vie doit être belle dans les assiettes et les bouteilles.

Il me faut vite atteindre l’autre côté de Kouhounou, là où la mort ne tue rien, mais où la vie tue la vie…

 

Destin Mahulolo