Quant à moi, ce qui m’attirait dans l’école, c’était plutôt  les amis qu’on pouvait y avoir. Et j’en avais beaucoup : il y avait Fifamè et Ryane, il y avait Babatoundé, Malick Abdul sans oublier  Yanis et Kétia. Ils savent parler, ils savent jouer au toboggan, au trampoline, ils jouent bien au pneu. On s’était choisis dès le premier jour.

En effet, ce premier jour-là, la maîtresse nous reçut gentiment et nous installa à nos places respectives avant de se présenter. Elle s’appelle  Amandine Boco, maîtresse pour nous autres, ses écoliers. Elle  se promenait dans la salle de classe, aidait des camarades qui s’embarrassaient avec leurs sacs, en consolait d’autres qui pleuraient encore.

 Ma maîtresse est une  femme dont je ne peux  dire l’âge aujourd’hui, je ne le connais pas ;  en revanche, je pus attester qu’elle est jeune. Nous l’admirions tous à cause de ses différentes tenues, en tissus imprimés, cousues sur des modèles recherchés qui lui donnaient, sur son corps pas gros, une allure de mannequin, ou en prêt-à-porter qui rehaussaient encore plus sa personne. Elle portait toujours des cheveux courts, tantôt défrisés, tantôt bouclés ; lorsqu’elle tressait des mèches, elles étaient le plus souvent fines et ne dépassaient jamais le ras de son cou, un peu long et paradoxalement annelé, tout comme le mien. Elle arborait toujours un sourire attirant qui faisait rayonner un visage légèrement effilé que terminait un menton court. La blouse bleue aux manches trois quarts qu’elle portait habituellement sur ses tenues, lui arrivait aux genoux, mais ne parvenait pas à cacher la couleur satin de sa peau, qui s’exposait davantage au niveau de ses bras effilés: ma maîtresse était tout simplement belle.

– Notre école, dit-elle ce jour-là, s’appelle : « Les Bénis ». Les amis, répétez après moi, nous dit-elle : Les Bénis

– Les Bénis, crions-nous en chœur

– Encore !

– Les Bénis, braillons-nous

– C’est l’école des petits et grands.

Nous répétions toutes les phrases de notre maîtresse et en marquions la fin par des applaudissements. Nos applaudissements ! C’étaient de faibles tapes dans nos petites mains, ponctuées de l’onomatopée ‘’papapa »  »papapa ! , super, avec les deux pouces de nos mains relevés. À cette allure, la classe se chauffait progressivement,  et les pleurards se mettant de la partie, elle se transforma en une ruche bourdonnante. La maîtresse elle-même s’animait davantage, elle enchaînait les slogans, les multipliait au rythme accéléré de nos ‘’papapapapas » et de ses inspirations. Toute l’école devait en vibrer, et moi, j’en étais aux anges puisque je n’en demandais pas davantage à l’école que de m’offrir une plateforme où je me défoulerais. Pour l’instant, elle remplissait, à mes yeux,  ce contrat.

Soudain, une sirène retentit : c’était la récréation de dix heures. Alignés en bon ordre derrière la maitresse, les amis et moi allâmes chercher le petit déjeuner servi par deux femmes : ce fut des nouilles assaisonnées de sauce-tomate et de la saucisse. Revenue à ma place, je ne réussis pas à manger ce repas, tellement les pâtes glissaient, aussi gluantes que la sauce crincrin de ma maman. La bonne sauce crincrin de ma mère ! Elle a l’avantage d’enrober la boule de la pâte de semoule qu’elle aide à glisser agréablement dans le gosier. Tandis que ces pâtes-ci, se promenaient, ficelles visqueuses et rebelles à toute collaboration avec leurs consœurs, et retombaient dans mon bol comme si elles répugnaient à entrer dans ma bouche. J’en eus un dégoût effroyable. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je mangeai la saucisse et bus de l’eau à ma gourde.

Nous avions mangé dans notre salle de classe, sous la surveillance vigilante de la maîtresse. Elle allait et venait, invectivait doucement ceux parmi nous qui avaient tendance à manger sur leurs petites tables individuelles. En effet, chacun de nous en occupait une, et les trente tables et chaises, adaptées à nos tailles et savamment disposées, garnissaient un sol qui brillait de son revêtement de carreaux d’une couleur ocre-rouge. Cette mise en place intelligente masquait la petitesse de notre classe à la forme  presque carrée.  Les deux fenêtres de sa façade-est, équipées de nacos et de vitre en lames blanches, s’ouvraient sur le mur mitoyen avec la concession voisine, tandis que celle de la façade-ouest donnait sur notre aire de jeu. Derrière nous, au nord donc, un mur-cloison nous séparait d’une autre classe, et face à nous, derrière le bureau de notre maîtresse, s’étalait sur le mur, un tableau noir. D’expressives images peintes ornaient les parties libres des murs d’une couleur bleu-ciel. Ici, ce sont deux chatons qui se frottent l’un contre l’autre, là, c’est Mickey et plus loin, Pinocchio, là-bas, une fontaine publique où des enfants jouent à barboter dans un filet d’eau qui en échappe constamment et coule tout comme la source d’une rivière. Comme je les enviais ! Cependant, je ne pouvais me plaindre, car il y avait ma salle de classe, elle était simplement coquette et accueillante ; et il y avait aussi ma maîtresse et les activités auxquelles elle nous soumettait.

La reprise après la pause était partie sur des chapeaux de roue. Chacun de nous, à l’instar de la maîtresse, devait se présenter en énonçant son nom et son âge. Des amis peinaient à décliner leur identité tout seuls, et la maîtresse les y aidait par des questions. Quand vint mon tour, de ma plus belle voix, je dis :

A SUIVRE…

Ascension BOGNIAHO