Il s’évertuait tous les soirs, après les travaux pénibles à l’atelier de soudure, à faire de petits jobs pour pouvoir s’offrir au moins le déjeuner du lendemain. Tantôt, il s’improvisait en porte-faix, tantôt en garçon de courses, tantôt en domestique ou encore en bricoleur de circonstance. Il ne lésinait pas à verser et dans l’overdose des substances opiacées pour être d’aplomb en vue de mener ses jobs. Son opiniâtreté au travail et la forte conscience de la probité qui le distinguaient de ses pairs âpres au gain facile avaient frappé l’attention d’El Hadja Bojou, une commerçante opulente de produits cosmétiques et de bijoux du marché qui le sollicitait presque tous les jours pour tel ou tel autre service.

Elle lui donnait en guise de récompense, soit un plat, soit une pièce d’argent pour l’encourager. Sévérin offrait aussi sa disponibilité aux services d’entretien du marché après ses travaux diurnes passés sous la lanière mordante du soleil. Il avait conscience de ce que la vie est une succession de rixes et que seuls les pas hardis y arrachent des victoires.

L’appât du luxe.

Les jours valsaient et se succédaient dans une course effrénée au gré du tic-tac allègre qui résonne sur les pas du temps fugitif. Pendant ce temps, Sévérin se battait conformément à ses idéaux. Il s’était résolu à l’idée d’épargner ses revenus afin de réaliser des projets qui pourront, à la longue, le rendre autonome. Il s’affamait et cotisait ses sous dans une caisse forgée pour la circonstance qu’il enfouissait au tréfonds de son sac dans la chambre qu’il partageait avec ses amis soudeurs. Il s’était résolu à l’idée de n’en parler à personne convaincu que ses amis allaient le dépouiller sans en avoir le moindre remords. Pour dissimuler son projet au flair très poussé de ses Co-apprentis, il se gardait de s’en approcher en leur présence. A tous ceux qui lui demandaient l’issue des sous qu’il gagnait, il chantait cette rengaine soigneusement controuvée :

  • « Je ne gagne rien de consistant. Tous mes revenus suffisent à peine pour me nourrir. »

Un jour, Sévérin s’était rendu chez Tanti Bojou après les travaux de la journée à l’atelier de soudure. Cette dernière, vautrée nonchalamment dans une chaise, trônait au milieu de son grand hangar tel un amas de sable de verrerie amoncelé en guise de fétiche.

Ses tempes érubescentes contrastaient avec le reste de son visage verdâtre ou noirâtre par endroit. Si les fards savamment appliqués sur son visage arrivaient à dissimuler les traits saillants de sa dépigmentation sans qu’on ne s’en doutât un seul instant, sa peau, elle, affreusement bigarrée était une publicité vivante à la gloire des baumes de dépigmentation. La peau de la panthère, aussi disparate soit-elle, ne pouvait défier la diversité des couleurs qui émaillaient le corps gras de Tanti Bojou. Sa robe sans manches laissait jaillir de ses aisselles un filet de vergetures. Une chaine plaquée en or pur pendouillait à son cou froncé, prématurément plissé par les merveilles du cosmétique. Ses pieds enfouis dans une paire de chaussettes blanches dissimulaient leur noirceur qui n’avait pas de commune mesure avec celle du charbon.

Dès que Sévérin franchit le seuil de sa boutique, un sourire illumina son visage. Elle lui lança presque instinctivement d’un ton affectif :

  • Alors mon garçon, tu es enfin venu. Commence par emballer les sacs que j’ai mis là.

A suivre

Gilles GANDONOU