Le garçon se dirigea vers le fond de la boutique et se mit dare-dare à ligoter la montagne que Tanti Bojou avait dressée en guise de colis. Une fois le colis noué, il s’affaissa pour se charger le faix sur la tête mais en vain. Il décuplait ses forces, geignait, soupirait, haletait, gémissait sans pouvoir réussir à soulever le colis et à le poser sur la tête. Il se résolut alors à appeler Tanti Bojou au secours.

  • Pourriez-vous m’aider ? fit-il à la dame.
  • Mais, tu ne peux pas soulever ce petit colis seul ? Ah, voilà ce que je ne me lasse de te dire tous les jours. Tu t’émacies à force de mener toutes sortes de jobs dans le marché de Zè. Tu vas m’accompagner à la maison pour que je te donne quelques vitamines. Tu en profiteras d’ailleurs pour connaitre chez moi.

Sévérin acquiesça à l’invitation de sa cliente. Elle se leva ensuite pour le charger du colis que devrait porter le jeune homme jusqu’à son domicile. Lorsqu’elle mit le colis sur la tête du jeune, sa colonne vertébrale se tordit et une douleur lombaire avait commencé à lui brûler le dos. Mais Sévérin se résolut de ne pas paraître esquinté et de supporter la douleur jusqu’à destination.

  • Je vais devoir vous devancer pour que le poids du colis ne m’écrase pas comme une boîte de conserve avant la destination.
  • Oh ! Je ne crois pas que tu sois capable de reconnaître la maison tout seul.
  • Je vais devoir vous devancer et vous attendre au pied du gros arbre de teck dressé à l’entrée du marché.

Il prit alors les devants en allant à grandes enjambées pendant que ses dernières forces l’abandonnaient. Tanti Bojou l’y rejoignit une dizaine de minutes après et la marche s’ébranla à nouveau. Ils marchaient ensemble, l’un devant l’autre comme une mère avec son fils unique ; le fils devant pour baliser le chemin qui mène au bercail et la mère derrière comme pour veiller sur son rejeton.

Cette belle image défilait sous le filet de la faible lueur qui jaillissait de la pénombre crépusculaire au travers des brèches qui la fendillaient. Bientôt, les deux ombres humaines avaient disparu à mesure que s’épaississaient les ténèbres. Une villa cossue dominée par un jeu de lumière éblouissant se distinguait à l’horizon.

  • On y est presque, lâcha la dame.

Sévérin ne fit aucune réponse tant sa stupéfaction était grande. Il s’était imaginé une belle maison mais pas un luxe aussi majestueux au cœur d’un bourg perdu comme Zè. Quand ils arrivèrent au portail, Tanti Bojou appuya sur un interrupteur doré fixé à l’un des montants qui soutenaient le portail. Un vigile affublé d’un uniforme marron et muni d’une matraque accourut vers le portail et l’ouvrit aussitôt. Il s’inclina révérencieusement dès qu’il aperçut sa patronne et se dépêcha de décharger Sévérin. Un soupir de soulagement naquit dans sa gorge et s’extériorisa aussitôt. Il céda le passage à sa cliente qui prit les devants d’instinct cette fois-ci. Elle le conduisit au salon. C’était une vaste chambre badigeonnée en or doré et admirablement pavoisée. Une impressionnante collection de tableaux d’art de grande valeur était fixée de part et d’autre dans la chambre. Une effigie imposante de Tanti Bojou gravée dans du marbre dominait cette collection de toiles.

Des meubles de tout acabit taillés en verre de silice garnissaient la chambre. Des pots de fleurs soliflores posés ci et là rehaussaient la parure de ce luxe. Un effluve, capiteuse et odoriférante, s’exhalait d’une petite boite posée devant le géant écran plasma dominait l’atmosphère et berçait les narines de quiconque y fait irruption. Un menu détail du décor retint cependant l’attention du jeune garçon. Une sacoche vermeille ornée de cauris et de bougies très peu ordinaires pendouillait à chaque encoignure de la chambre. Au fronton de la porte principale qui donne accès au salon était condamné un éventail tissé d’une toile de rameau, orné de cinq plumes de volailles et attaché de deux linges ; l’un écarlate et l’autre blanc. Au-dessus de la télévision était aussi accrochée une toile rhombique dans laquelle était ancrée une forme sculpturale monstrueuse qui répugne à la vue.

Médusé par tout ce décor d’apparat, Sévérin posa son séant à même le sol pour s’assurer de ne rien salir. Tanti Bojou s’éclipsa derrière le rideau et revint quelques instants après les mains encombrées d’une carafe de jus d’orange naturel et d’un verre à boire. Elle vit Sévérin assis par terre et l’interpella aussitôt :

  • Oh non. Tes scrupules t’honorent bien mais assois-toi dans le canapé.
  • D’accord.

Un canapé rembourré et au toucher du velours accueillit son séant et commença aussitôt à adoucir ses nerfs. Il se délecta d’un seul trait du jus que lui servit Tanti Bojou.

  • C’est ici que j’habite. Je t’ai demandé à bien des reprises de venir habiter chez moi mais tu n’as pas voulu me faire ce plaisir. Je ne vais pas t’obliger à venir habiter ici si tu préfères la promiscuité dans laquelle tu vis à l’atelier à la vie décente que je te propose. J’espère vivement que ton passage de ce soir va te dessiller les yeux pour que tu choisisses ce qui te semble meilleur.

Sévérin se leva, dit toutes ses gratitudes à sa bienfaitrice et demanda à partir. Sévérin sortit tout morne pendant que disputait sa pensée le souvenir de son passage chez Tanti Bojou.

« Pourquoi se refuser d’accueillir le bonheur quand il se fraie un chemin pour parvenir jusqu’à soi. Il est grand temps que je saisisse cette opportunité. » soliloqua Sévérin dans la nuit.

 

A suivre …

 

Gilles GANDONOU